« Il semble, qu’au début, les gouvernements n’aient tiré qu’un médiocre parti de leur nouvelle conquête. Les essais auxquels il fut secrètement procédé n’aboutirent à rien d’utile. Cependant, les peuples s’ennuyaient. Quelle que fût leur patrie, les civils devenaient moroses et de mauvais poil. En mordant à leur pain noir ou en buvant des ersatz à la saccharine, ils faisaient des rêves de festins et de tabac. La guerre était longue. On ne savait pas quand elle finirait. Mais finirait-elle un jour ? Dans tous les camps on avait foi en la victoire, mais on craignait qu’elle ne se fît attendre. Les dirigeants nourrissaient les mêmes craintes et commençaient à se ronger les poings. Le poids de leurs responsabilités les faisait blanchir. Bien entendu, il ne pouvait être question de faire la paix. L’honneur s’y opposait et d’autres considérations aussi. Ce qui était enrageant, c’était de savoir qu’on disposait du temps, et de ne pas trouver le moyen de le faire travailler pour soi. »
Jeudi 26 mars, après dix jours de confinement, la Société Publique Locale (SPL) Euralille qui construit depuis trente ans le quartier d’affaires, met en ligne un entretien entre son directeur général et celui du promoteur immobilier Nacarat. Cette demi-heure de tapes dans le dos et d’anecdotes complaisantes signe un aveu : la SPL s’est entièrement convertie aux dogmes de l’urbanisme marchand. Le même jour, un huissier débarque sur la friche Saint-Sauveur où sont réfugiés des jeunes mineurs étrangers et autres personnes sans domicile qui tentent de recréer des espaces de solidarités dans une ville confinée. Dépêché par la SPL, propriétaire des terrains, il vient prévenir les occupants de leur prochaine expulsion. Alors que le monde s’écroule, Euralille montre son vrai visage. Eux aussi devront rendre des comptes.
En tant que directeur officiel de l’École Néogonzo de Lille (ENL), je ne pouvais qu’accueillir favorablement l’annonce de la fermeture de tous les établissements scolaires de France. Enfin on allait arrêter de m’emmerder avec cette épave du journalisme que je maintenais désespérément à flot depuis plusieurs années. Plus d’étudiants, plus de stagiaires pour venir pleurer dans mon bureau ou pour écrire des graffiti obscènes sur ma porte. Fini ce ramassis d’ivrognes infoutus de pondre un papier digne de ce nom. Je n’avais qu’à fermer boutique et tout reporter, sine die. En somme, je pouvais me la couler douce. Évidemment, et tout le monde s’en doute, ça ne s’est pas passé aussi facilement que ça.
J’aime pas ça la gueule de bois, surtout quand elle n’a d’autre origine que l’ambiance de la catastrophe. Je ne vais pas mentir, c’est pas la première fois que la nausée me prend, comme ça, comme si l’actualité du monde s’invitait dans mon estomac après avoir forcé le passage de mon œsophage.
Des dessinatrices et dessinateurs, on en a croisés une foule dans nos carrières de journalistes sauvages. Pas difficile, car depuis une dizaine d’années ils ont su se rendre indispensables dans les salles de rédac’ de la presse alternative lilloise. C’est ainsi qu’on a pu frayer un bout de route avec Florent Grouazel et Younn Locard il y a quelques temps. Bien avant qu’ils atteignent le sommet qu’ils occupent aujourd’hui, grâce à leur BD Révolution (Actes Sud, 2019).
On pourrait croire que le 43000 n’est qu’un immense tissu de craques. Ce n’est pas le cas, à peu de choses près. Quoi qu’il en soit, le texte qui suit respecte les principes fondamentaux du journalisme en relatant la stricte vérité. L’aventure qui est arrivée à son auteur ‒ dont nous tairons le nom ‒ est un parfait exemple du reportage qui-te-tombe-sur-le-coin-de-la-gueule, le truc qui n’aurait jamais dû exister. Et pourtant, il s’agit bien de la réalité : une rencontre bizarre et déjantée entre des graffeurs et un auto-stoppeur qui avait décidé de tout claquer. Un type répondant au nom de Benoît Poelvoorde.
« Ne pas perdre tout ça. Ne rien perdre. Les livres meurent aussi, mais ils durent plus longtemps que les hommes. On se les passe de main en main. Comme la flamme des jeux Olympiques portée de relais en relais par les coureurs. Mon ami, mon père, mon grand aîné, tu n’as pas glissé entièrement dans le néant puisque ce livre de ta vie existe. Bien que personne ne saura qu’il s’agit de toi puisque tu n’as accepté de m’aider à rédiger cette biographie qu’à la seule condition que ton vrai nom n’apparaisse nulle part. Tu voulais bien m’aider à sauver une mémoire, mais pas un nom. La mémoire, disais-tu, appartient au peuple, le nom n’est qu’un simulacre. Le nom n’est qu’un titre de propriété dérisoire. »
Comme d'hab’, c'est moi qui ai dû m'y coller. Une journée après avoir décrété la grève au sein de l'École Néogonzo de Lille (ENL), un message de Jack de L'Error m'ordonnait d'aller voir ce que les profs faisaient, là, devant le rectorat, par une pluie dantesque et un vent de ouf, ce mercredi 15 janvier.
Le temps est donc venu de… remettre une pièce. L’ENL se met en grève. Non pas tant à cause des remous intestinauxque provoque en nous chacune des paroles lumineuses prononcées par les adeptes de la Prophétie, mais surtout parce qu’Édouard Philippe, boxeur, romancier et Ministre Number One, a trouvé les mots pour nous convaincre. Des mots fameux : « Il faut savoir terminer une grève ». Complètement en accord avec cette sentence, les membres de l’ENL ‒ évidemment aux ordres ‒ se sont réunis en assemblée générale pour la mettre en application. Le problème, qui n’a pas manqué de soulever d’interminables débats, était que nous ne faisions point la grève. De fait, nous n’étions pas en mesure de voter la fin de la grève. Logique.
Par conséquent, plusieurs heures ont été nécessaires pour parvenir à un consensus. Pour « savoir terminer une grève », il n’y avait pas 36 solutions : il fallait savoir la commencer. Aussi, nous avons l’honneur de vous transmettre notre déclaration commune qu’un stagiaire a bien sûr été chargé de rédiger :
Déclaration commune des élèves et personnels de l’École Néogonzo de Lille (ENL), réunis en assemblée générale et souveraine, sous la bienveillance de la Direction, lundi 13 janvier 2020
Nous, membres de la plus prestigieuse école de journalisme au nord de Paris,
Élèves, stagiaires, journalistes, professeurs, techniciens de surface et numériques, etc., etc.,
Considérant juste le principe « Il faut savoir terminer une grève »,
Considérant sa mise en œuvre tributaire d’une grève dure et observant l’absence de grévistes parmi nous,
Déclarons avoir décidé, en âme et conscience et à l’unanimité, de nous mettre en grève,
Ajoutons pour une durée illimitée, c’est-à-dire jusqu’au jour où nous saurons enfin terminer une grève,
Précisant que c’est une autre histoire.
IL FAUT SAVOIR COMMENCER UNE GRÈVE POUR SAVOIR LA TERMINER !
Une grève en hiver, c'est toujours un peu hardcore. Surtout dans le Nord. Et surtout pour Jack de L'Error. Pluie, vent de côté, c'est ce qu'il nous a fallu tous les deux affronter ce vendredi 10 janvier 2020 pour rejoindre les locaux des syndicats à côté de la gare Lille-Flandres.