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  • Catégorie : Brèves

Des rêves de festins et de tabac

« Il semble, qu’au début, les gouvernements n’aient tiré qu’un médiocre parti de leur nouvelle conquête. Les essais auxquels il fut secrètement procédé n’aboutirent à rien d’utile. Cependant, les peuples s’ennuyaient. Quelle que fût leur patrie, les civils devenaient moroses et de mauvais poil. En mordant à leur pain noir ou en buvant des ersatz à la saccharine, ils faisaient des rêves de festins et de tabac. La guerre était longue. On ne savait pas quand elle finirait. Mais finirait-elle un jour ? Dans tous les camps on avait foi en la victoire, mais on craignait qu’elle ne se fît attendre. Les dirigeants nourrissaient les mêmes craintes et commençaient à se ronger les poings. Le poids de leurs responsabilités les faisait blanchir. Bien entendu, il ne pouvait être question de faire la paix. L’honneur s’y opposait et d’autres considérations aussi. Ce qui était enrageant, c’était de savoir qu’on disposait du temps, et de ne pas trouver le moyen de le faire travailler pour soi. »

Marcel Aymé, Le Passe-muraille, 1941