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  • Catégorie : Brèves

Hommage aux vaincus

« Ne pas perdre tout ça. Ne rien perdre. Les livres meurent aussi, mais ils durent plus longtemps que les hommes. On se les passe de main en main. Comme la flamme des jeux Olympiques portée de relais en relais par les coureurs. Mon ami, mon père, mon grand aîné, tu n’as pas glissé entièrement dans le néant puisque ce livre de ta vie existe. Bien que personne ne saura qu’il s’agit de toi puisque tu n’as accepté de m’aider à rédiger cette biographie qu’à la seule condition que ton vrai nom n’apparaisse nulle part. Tu voulais bien m’aider à sauver une mémoire, mais pas un nom. La mémoire, disais-tu, appartient au peuple, le nom n’est qu’un simulacre. Le nom n’est qu’un titre de propriété dérisoire. »

Michel Ragon, La mémoire des vaincus, 1990