Le linge sale de l’ENL

Épuisement nerveux à l’École Néogonzo de Lille

• « Y’en a marre de ces conneries ! » Hier soir, le directeur de l’ENL a littéralement pété un câble. En effet, depuis sa réconciliation retentissante avec le Capitaine Cœur-de-Bœuf, M. de L’Error doit supporter celui-ci dans un tête-à-tête de plus en plus pesant. De-Bœuf, quant à lui, n’a pas l’air de s’en rendre compte, tout obnubilé qu’il est depuis son retour par un obscur article sur un bidonville tout aussi obscur. Article qui, selon ses dires, va « faire chier un paquet de monde dans son froc ».

Après plusieurs jours de tension palpable entre De L’Error et De-Bœuf, tous deux enfermés dans les locaux de l’école, à la façon d’un inquiétant huis-clos, le premier a donc signifié au second qu’il en avait assez de cette situation. Voici comment la scène s’est déroulée. Le Capitaine était en train de délimiter, grâce à Paint, un bidonville sur une photo des années 1930. Parallèlement et dans un monologue sans concession, il racontait au directeur le film qu’il venait de visionner, à savoir Le Grand Soir « des mecs du Groland avec Poelvoorde et… euh… euh… Dupontel ». « C’est l’histoire du plus vieux punk à chiens, a-t-il expliqué, le mec il s’appelle NOT et il l’a tatoué sur son front, et il coiffe sa crête avec de la 8.6 et après y’a une scène où pendant cinq minutes montre en main ils parlent en même temps à leurs pères et donc on comprend rien du tout ! Ça dure deux heures et j’ai pas vu la fin… » Puis il a lancé « Get lucky » de Daft Punk pour la 110e fois sur son ordinateur. C’est à ce moment précis que M. de L’Error s’est écrié : « Tu me fais chier ! Tu entends ? Tu me fais chier ! J’en peux plus de ton putain de bidonville à la con ! Sale timbré de monomaniaque ! »

Comprenant rapidement les tenants et les aboutissants et redoutant un nouvel incident diplomatique avec De-Bœuf, M. de L’Error a alors pris les devants en décapsulant une Chimay bleue et en la tendant à son acolyte. Et de proposer : « Écoute, De-Bœuf, m’est avis qu’on a besoin d’un peu de vacances. Rester à Lille pendant le mois d’août, y’a pas à chier, c’est pas humain. Alors, voilà ce que je te propose : on ferme l’école, on prend la baleine, et on part rejoindre les autres ». Les « autres », autrement dit les élèves de l’ENL éparpillés actuellement un peu partout en France.

Un peu à contrecœur, mais percevant parfaitement la nécessité de tenter le tout pour le tout, le Capitaine a accepté l’offre. Dès demain, le secrétariat de l’école sera donc inaccessible mais son site web continuera, tant que faire se peut, de voguer tranquillement. Nos deux aventuriers prennent la route et personne ne sait à l’heure actuelle lequel des deux en reviendra indemne. •

De-Bœuf sauve De L’Error d’une mort certaine ou le grand retour du Capitaine Cœur-de-Bœuf à l’ENL

• « Chaque histoire a ses retournements les plus improbables. On se souviendra de celle-là ! » Hier, dans les locaux de l’ENL, le Directeur n’en revenait toujours pas. Les faits ont de quoi surprendre : victime d’une lâche agression terroriste dans la nuit de dimanche à lundi, M. de L’Error a été sauvé in extremis par le Capitaine Cœur-de-Bœuf, « ennemi public n°1 » depuis un mois. Mais les détails rapportés ne laissent pas de doute sur leur véracité.

À deux heures, dimanche matin, le directeur de l’ENL, de retour chez lui après avoir vaillamment défendu le prestige de l’école dans une demi-douzaine de rades différents de Wazemmes, est tombé dans un guet-apens. À quelques mètres de son entrée, quinze hommes cagoulés et armés de battes et de chaînes l’ont encerclé. Ils auraient alors déclaré quelque chose d’incompréhensible et se seraient revendiqués d’un certain « Koumité de soutien ». En tous les cas, ces individus ne s’intéressaient pas à son portefeuille mais semblaient plutôt en vouloir à sa vie.

M. de L’Error, qui avait sans doute mal saisi la gravité de la situation ou qui était tout simplement bourré, a répliqué sans articuler : « Prés’tez-vous, chacals puants ! J’vous préviens, si v’voulez en découdre, j’ai étudié l’style Niten Ichi Ryu, et j’vous emmerde, salauds ! Allez, v’nez, un par un ou tous ensemble, comme vous préférez ! » Alors tout est allé très vite. Les hommes ont foncé sur le Directeur, qui allait se prendre la dérouillée de sa vie, mais un cri grave et sinistre, comme extirpé de l’au-delà, les a stoppés tout à coup. Une forme s’est révélée au loin, puis une silhouette suivie d’une ombre gigantesque s’est approchée rapidement. Au même moment, des bouteilles de Chimay bleue leur tombaient sur la tête, comme du ciel. Le cri se faisant plus horrible encore à mesure que la silhouette se rapprochait, les lâches agresseurs ont pris la fuite. Sonné, M. de L’Error a relevé la tête :

« Jack !

– …

– Jack ! Ça va ? C’est moi !

– …

– Jack, putain, c’est De-Bœuf !

– … Espèce de petit salaud !

– Oh !

– … Robert Wyatt… t’as Wyatt ?

– Non… mais qu’est-ce tu m’parles de Wyatt là ?!

– … Ordure…

– Voilà comment tu remercies celui qui t’sauve la vie. Ces mecs voulaient ta peau. T’as d’la chance que j’étais dans les parages…

– … Hum ?

– Ces mecs voulaient ta peau ! Je t’attendais depuis une heure… faut qu’je te parle, Jack.

– Rob… Wya…

– Tu m’fais chier avec Wyatt à la fin, merde ! Écoute-moi… »

Il semble que le Directeur ait alors perdu connaissance, et personne ne sait ce qu’il s’est passé après. Mais M. de L’Error a fait savoir ce matin, par voie de communiqué, que le Capitaine Cœur-de-Bœuf était réhabilité dans ses fonctions, sans autre commentaire. Il est difficile à l’heure actuelle de comprendre ce revirement de la direction, d’autant que, de source sûre, De-Bœuf serait loin d’avoir fini son papier sur Wyatt. Ceci dit, ce dernier évènement peut nous laisser espérer une sortie heureuse d’un conflit qui affecte l’ENL depuis plusieurs semaines. •

De L’Error/De-Bœuf : La rencontre

• Veuillez prendre connaissance du communiqué du Directeur publié ci-dessous, relatant les récents évènements dans l’affaire De-Bœuf.

Il n’y avait qu’un seul endroit au monde où De-Bœuf pouvait se terrer : dans sa Campanie natale. Il devait se planquer quelque part dans les bas-fonds de Naples, tout le monde sait que le pleutre y compte quelques complices assez bien placés. Les experts que j’avais mis sur sa piste n’arrivant pas à réfléchir au-delà du Louvre-Lens – comme si leurs cerveaux crétins étaient retenus par une sorte de triangle du Nord-Pas de Calais (Boulogne – Dunkerque – Lens) inintelligible –, je me suis décidé à régler cette affaire seul. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, disent les patrons, et ces salauds n’ont pas tout à fait tort.

J’ai pris le premier avion. Sur place, activé mon réseau. Un vendeur de roses, d’abord, qui avait remarqué depuis quelques jours « un drôle d’individu » venant tous les soirs à la même heure déverser le contenu de sa vessie sur les portes de Santa Chiara. Puis un moine, qui a confirmé ces dires. Enfin un vendeur de souvenirs qui m’a raconté qu’un « type bizarre » passait tous les soirs, et à la même heure, pour s’essuyer les mains sur les maillots de Maradona exposés devant sa boutique. « Ne vous inquiétez pas, je vais vous en débarrasser », ai-je dit à ce dernier, convaincu que c’était l’œuvre du Capitaine. Seulement ce n’était pas judicieux de l’intercepter devant Santa Chiara. Beaucoup trop de flics, pas discret. Je lui ai donc laissé un message, gravé sur la porte qui empestait son odeur : « JE T’AI TROUVÉ, LA PARTIE EST FINIE. RDV PIAZZA BELLINI, 23H. FAIS PAS LE CON, TU SAIS QUE T’ES FOUTU. JACK DE L’E. »

J’étais sûr qu’il viendrait, et je ne me suis pas trompé. Une foule énorme de jeunes occupait la place, juste pour boire des verres et fumer de l’herbe. Ceci dit nous n’avons pas mis longtemps à nous trouver :

« De-Bœuf !

– Jack.

– T’es niqué, De-Bœuf. T’as plus qu’une seule chose à faire, et tu le sais. Rends-moi Robert Wyatt, rends-moi le papier de ta vie, le papier qui déterminera tout le reste de ta carrière, rends-moi Wyatt et on oublie tout. On oublie les tentatives d’homicide, on oublie les insultes et les humiliations… les vieilles rancœurs, tout disparait ! Tu reviens à l’école, avec les honneurs, et je te nomme à un poste. De-Bœuf…

– Jack, après tout ce temps, tu me déçois. Tu sais très bien que je vais te le rendre ce papier, bordel ! Mais pas là, pas maintenant…

– Trois ans, ça fait trois putains d’années !

– C’est le papier de ma vie, tu l’as dit. Maintenant, pense à ça, Jack : je te rendrai jamais ce papier si tu continues à me calomnier. Je n’ai jamais essayé de te buter

– Espèce de salopard ! »

Je me suis lancé sur lui et l’ai attrapé par le poignet. Me voyant esquiver avec brio la droite qu’il essayait lâchement de me coller, il s’est mis à crier : « Fascista ! Fascista ! » Surpris par cette insulte on ne peut plus extrême et injuste proférée à mon encontre, j’ai relâché ma prise et lui m’a échappé. Une dizaine de jeunes qui avaient vaguement des gueules d’antifascistes m’ont encerclé. Ils devaient croire les viles calomnies du Capitaine et voulaient en découdre. Hélas ! Le temps d’éclaircir toute cette histoire et, dans un italien impeccable certes mais trop exhaustif, de les convaincre que moi, De L’Error Jack, je ne pouvais être que fondamentalement antifasciste et surtout pas fasciste, De-Bœuf était déjà loin. Mais une chose est sûre et maintenant même lui est au courant : je ne le laisserai pas finir son été tranquille, je le traquerai jusque-dans-les-chiottes s’il le faut. •

J. de L’E.

Directeur de l’ENL

Une nouvelle conspiration contre le Directeur de l’ENL ?

• Alors que le Directeur de l’ENL a quitté Lille quelques jours la semaine dernière afin de retrouver lui-même l’élève fugitif De-Bœuf Cœur – décision prise rapidement après avoir crié sur ses « employés » : « Je vous paye une fortune et vous êtes même pas capables de me retrouver ce petit salopard ! Non mais je rêve ! Vous n’êtes qu’une bande de blaireaux finis ! Putain faut vraiment que je me farcisse tout le taf dans cette baraque ! » –, les Services en Stimulants de l’ADMINISTRATUR – organe de renseignements indépendant du C.G.S.P. – ont intercepté une communication téléphonique compromettante entre Simon de Bavoir, administrateur-adjoint du C.G.S.P., et Erwan Letartier, récente recrue de l’école. Voici son verbatim :

« Allô ?

– C'est toi le bleu ?

– Non, moi c'est Letartier, en un seul mot !

– La tarte au bleu alors ! Simon de Bavoir à l'appareil !

– Argh... Bonjour… Monsieur !

– Arrête ton char, Bernard.

– Non, Letartier, en un seul mot.

– Bon... Il paraît que tu lèches les bottes à De L'Error ?

– Oui.

– Moi aussi, mais là n'est pas la question... quoique… Il paraît que certains de nos camarades, si on peut encore les nommer ainsi, cherchent des poux dans la tête de L'Error. Et j'ai pas envie de le voir débarquer dans mon exil... Tu m'suis ?

– Euh... oui !

– Donc, il est plus qu'important qu'il reste à Lille, et de préférence attaché à son fauteuil, devant BFMTV si tu vois ce que je veux dire.

– Ah ?!

– Donc, tu te sors les doigts du cul et tu me ponds un papier louant ses mérites. »

Les meilleurs de nos spécialistes ont écouté cette communication des dizaines et des dizaines de fois. Mais ils n’ont rien trouvé. Dans le doute, ils ont décrété qu’elle était somme toute étrange et qu’il serait nécessaire d’ouvrir une enquête plus approfondie. À commencer par la mise à l’« interrogation » des principaux concernés, autrement dit les interlocuteurs de cet appel suspect qui seront convoqués dans les jours qui suivent. •

Cœur-de-Bœuf s’exprime

• Dans un élan de communication clandestine – pigeon voyageur jusqu'à Lens (merci l'amicale colombophile de Liévin), puis coursier en 103 SPX jusqu'à Libercourt et enfin cheminot nostalgique des temps pré-CGTistes en TER –, le Capitaine Cœur-de-Bœuf, ce fuyard devant l'éternel et ses responsabilités éditoriales, tant et tant recherché par la Direction de l'ENL, a envoyé cette missive courte mais qui se passe de commentaire : « Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est une vraie révolution ! Changer la vie ! » Le message était aussi accompagné de cette photo :

Fou de rage, le Directeur a fait savoir hier à tous les élèves que l’ADMINISTRATUR réprimerait tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à une forme de complicité avec le fugitif. Pour l’heure, les recherches se poursuivent. •