L’ancien directeur veut redevenir "un journaliste normal" et met en garde les élèves contre Bruegel de Bois et "ses chiens de garde"

• Hier, pour la première fois depuis son exfiltration de Belgique et l’abolition de son poste, le désormais ancien directeur de l’ENL s’est présenté dans les locaux de l’école. La plupart des élèves étaient au travail, et tous ont pu constater le bon rétablissement de M. de L’Error. Souriant et bien portant, barbe et crâne entièrement rasés, il n’avait d’étrange que son accoutrement : une grande tunique blanche fixée à l’épaule droite et descendant jusqu’aux cuisses, dans le dos de laquelle était brodé, en gros caractères, « Périclès » au-dessus du numéro 10. Mais bon, dans l’ensemble, ça allait. Selon les témoignages que nous avons récoltés, M. de L’Error est entré avec une cigarette aux lèvres en s’écriant : « Bonne année ! » Puis, après avoir jeté un gros paquet de notes de frais sur la table du secrétaire, il s’est dirigé vers son bureau comme si rien n’avait changé, dans sa vie et dans celle de l’école. Évidemment, depuis son retour à Lille, personne ne lui avait appris sa nouvelle condition, c’est-à-dire sa propre abolition en tant que directeur. Et personne, hier, de peur de provoquer sa colère, n’a osé l’arrêter pour lui expliquer la disgrâce dont il avait été frappé en son absence. Comprenez que la situation était délicate. Certains, comme le Signore Guzzi, ont tenté de se carapater, prétextant de fausses excuses – en l’occurrence, « un article très important à finir pour une grande revue italienne de sciences politiques ». D’autres, comme Elle Hache, se sont préparés à l’action, et à l’organisation d’une résistance, au cas où l’ex-chef voulait redevenir chef. Mais de tout cela, M. de L’Error n’a rien vu et, comme nous le disions, il s’est dirigé vers son ancien bureau – le Bureau triangle.

Ouvrant la porte, l’ex-directeur est alors tombé sur Bruegel de Bois, toujours blond mais avec une boucle d’oreille en plus, une casquette kaki sur la tête, en train de fumer un cigare cubain et de jouer au golf. À partir de ce moment, les témoignages se contredisent, mais tous confirment avoir entendu des cris, des insultes, et la porte claquer violemment, faisant tomber le portrait du regretté Bertoni qui était accroché au-dessus de l’entrée. « C’était chaud », se souvient Esteban, « franchément y’ai même pas envie dé té dire cé qué y’ai entendou tellement c’est dégueulasse ». Quoi qu’il en soit, après cette altercation, il n’y a plus eu un bruit, ou presque, pendant une bonne demi-heure. Personne n’est en mesure de restituer ce qu’il s’est passé dans le bureau. Mais on imagine aisément ce qui a traversé les esprits de MM. de L’Error et de Bois. L’un se sentant trahi, spolié, souillé, renversé. L’autre mal à l’aise et ne pouvant assumer ses actes, devant l’ami de naguère dont il avait pris la place. Finalement, les deux hommes sont sortis du bureau, dans le calme et de façon solennelle. Dans la salle de rédaction, ils ont improvisé une sorte de conférence de presse. La tension était palpable, quelques fronts perlaient de sueur froide. Les seules, peut-être, qui gardaient les pieds sur terre, étaient Mad et Mar. Les jumelles, nouvelles recrues, mues par de nobles idéaux, percevaient dans cette situation un parfait sujet de reportage vidéo et, en toute conscience professionnelle, l’occasion rêvée de monter en grade dans l’école. Elles filmaient donc la scène mais, pour une raison inconnue, ont refusé de nous transmettre leurs enregistrements.

Prenant la parole en premier, M. de Bois s’est exprimé en ces termes : « Mes amis, mes camarades, M. de L’Error et moi-même vous souhaitons nos meilleurs vœux et, surtout, de parvenir à remporter, enfin, le prix Pullitzer… » On a entendu quelques ricanements ou rires étouffés. Et, d’un coup, l’ancien directeur est intervenu : « Bon, ça va, Bruegel, on s’en fout de ton prix à la con. Alors, tout le monde, écoutez-moi. Bruegel vient de m’expliquer que vous avez osé abolir mon poste de directeur. Je dois dire que ça me pendait au nez et, à vrai dire, je crois que je m’en fous complètement. Oui, je vous le dis, je veux redevenir un journaliste normal… » Un élève, dont on taira le nom, a crié « Espèce de Francis Hollande ! Social-traître ! », puis a lâché un énorme mollard glaireux. Il n’en fallait pas plus pour enflammer l’assistance, et réveiller des velléités révolutionnaires d’un autre âge. Capitaine Cœur-de-Bœuf, par exemple, s’est emporté : « Camarades ! Camarades ! 1917 ! 2017 ! Camarades ! 1917 ! 20000000000017 ! C’est cette année ou c’est jamais ! » Bref, c’était le bordel.

Profitant de la confusion et de l’énervement ambiant – les conditions idéales –, l’ancien directeur a élevé la voix, et les mains, comme pour calmer la foule : « D’accord ! C’est entendu ! Je vous ai compris : je me retire de la vie politique. Mais je garde un œil vigilant sur l’école. Et je peux déjà vous alerter de la menace qui pèse sur elle dès à présent. En m’abolissant, vous pensiez peut-être… [ricanant]… vous pensiez peut-être enfin réaliser votre rêve inepte de "commune libre de l’ENL"… Eh bien laissez-moi vous dire que vous vous foutez le doigt dans l’œil ! » Un silence dérangeant s’en est suivi. Cherchant à le stopper, M. de Bois a posé une main sur l’épaule de M. de L’Error. Ce à quoi le dernier a rétorqué en pointant du doigt le premier : « C’est lui votre problème, maintenant !  Je vous le dis, oui, méfiez-vous de Bruegel et de ses chiens de garde ! Ils sont une menace pour notre école si prestigieuse ! Je vous le dis, De Bois c’est Manuel Valls ! » Les uns ont regardé les autres, et inversement, se demandant quoi faire. Une rumeur est montée, puis des cris, des coups, de coudes et de pieds, des prises au sol, des chaises volantes, la baston était générale.

Quand le calme est revenu, les dégâts étaient considérables. MM. de Bois et de L’Error avaient disparu. Encore une fois, tous les témoins ne sont pas d’accord, mais il semble que l’un – probablement De Bois – se soit enfermé dans le Bureau triangle, et que l’autre – sans doute De L’Error – ait discrètement quitté les lieux pendant la bagarre. Depuis, tous deux restent injoignables et l’ambiance de l’école est délétère. Tout le monde semble se méfier de son voisin et reste sur ses gardes. Ainsi, pour celles et ceux qui comptaient aborder la nouvelle année avec sérénité, paix et amour, il est clair que leurs plans ont d’ores et déjà foiré. •