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Violette Spillebout ne marche pas, elle chevauche

Bordel je me sens vieux. Je suppose que c’est un passage obligatoire. Le moment où, alors que rien ne change fondamentalement, tout semble nous échapper. Voilà où j’en suis aujourd’hui, pour de multiples raisons dont le récit vous sera épargné. Disons, le plus simplement du monde, qu’il m’arrive de ressentir le besoin impérieux de me barrer. De me retirer, de mettre un terme à ma carrière qui, comme chacun sait, n’a jamais vraiment commencé. C’est ce que je ferais je le jure si les dernières recrues du 43000 ne s’employaient pas à me plonger dans leurs obscures paranoïas. Et si le Nouveau Monde© ne s’apprêtait pas à frapper Lille, en la personne de Violette Spillebout… une Valkyrie bel et bien macroniste.


La nausée d’une rare violence qui m’a secoué, un certain soir d’avril 2017, sonnait pour moi le glas journalistique. Il était clair qu’après avoir dégobillé mes tripes face au spectacle victorieux, je ne pourrais plus rien dire. Me taire, pour survivre. Me contenter de planter des tomates entre quatre murs de briques, poser des joints de silicone, écouter la radio avec un transistor à piles, lire des textes sur les origines de l’Univers…

À la case, au calme.

C’était sans compter l’approche des prochaines échéances électorales. Je déplore que certaines personnes y aient vu l’occasion de m’instrumentaliser, mais c’est un fait, à commencer par les stagiaires de l’École Néogonzo de Lille (ENL), parmi lesquels l’ambitieux Docteur Kasoif. Selon lui, je voudrais prendre la mairie de Lille pour bâtir une gigantesque technopôle spécialisée dans la… capote. Rien que ça. Vous devinez ma surprise. Certes, je le confesse sans ambages, il m’est arrivé, lors de soirées trop arrosées durant lesquelles mes questionnements philosophiques se transformaient en éructations inaudibles, de clamer haut et fort qu’on allait « ravir la mairie aux socialistes ». Oui, il est vrai que lors des dites soirées j’avais élaboré une stratégie, un programme de campagne et constitué une liste ‒ « The Power of Light » ou, plus percutant, POL. Bref, tout ça n’était qu’un vaste délire auquel une poignée d’ahuris croyaient comme des gogos devant une photographie de la Terre plate.

Que les choses soient donc claires : je ne veux pas devenir maire de Lille. JE NE VEUX PAS DEVENIR MAIRE DE LILLE.

Croyez-moi, pas les faiseurs de fakenews©.

Sérieusement, imaginez une seconde : Jack de L’Error, journaliste sportif et directeur de l’ENL, trônant au sommet du beffroi. Je crois sincèrement que ça serait le pire truc qui puisse arriver aux Lillois ‒ oui, j’insiste, le pire. Avec moi, la moitié du conseil municipal finirait en garde à vue au bout de trois mois. Mes administrés, malgré l’amour que je leur porterais, crèveraient de faim dans des conditions chaque jour plus indignes, quand les survivants se vautreraient furieusement dans le sexe, la drogue et le rock’n’roll. Vous voyez le tableau ? Non, vraiment, je ne peux endosser cette responsabilité, et je préfère quitter la mairie avant même de l’avoir conquise.

Reste que l’éclaboussure de cette rumeur m’a conduit à ressortir mon vieil ordinateur poussiéreux et, malgré moi, à me reconnecter au monde. À première vue, tout semblait identique. Lille s’appelait toujours Lille, Martine Aubry restait maire d’un « peuple qui souffre » grâce à une « minorité radicalisée » et la police, elle, faisait son travail. Rien n’avait changé, j’étais soulagé.

Hélas, ça n’a pas duré plus de cinq minutes.

Quelques tweets plus tard, le malheur s’abattait sur ma tronche, et il portait le nom de Violette Spillebout. Candidate LREM aux municipales. Prophétesse de la venue du Nouveau Monde© à Lille. Abasourdi, j’avoue que là, j’avais un peu la gueule de Captain America se réveillant après 70 ans de coma… chaud, quoi. À l’évidence, les Marcheurs du Nouveau Monde© forment un groupe d’individus dont la capacité à foutre la gerbe à peu près tout le temps continue de m’étonner. Et Violette Spillebout n’a pas laissé mes tripes indifférentes. Oh que non.

Elle est revenue, bordel. Dans l’autre camp.

Gardons nos esprits. Je m’explique :

Je vis dans une ville convoitée par une diseuse de bonne aventure, qui fustige « le dogme de l’ancien monde », à l’instar de son jeune chef, et promet de Faire Respirer Lille© ‒ vous ne pouvez le voir, mais je réprime un éclat de rire. Voilà mon problème.

Et ce n’est pas nouveau, car c’est bien de l’ancien monde que je tire mes premiers souvenirs de Violette Spillebout. De l’époque où elle était directrice de cabinet d’Aubry suggérant au journal La Brique de s’autocensurer, tandis que son photographe UMPiste de mari pompait un pognon de dingue à la mairie. Depuis lors, l’idée que je m’en fais n’a guère évolué : une bourgeoise mondaine complètement déconnectée de la réalité ‒ réalité, pour être honnête, à laquelle elle se confronte parfois lors de conversations dans des cafés, conversations par ailleurs régulièrement chahutées et empêchées.

Aujourd’hui, Violette Spillebout marche donc pour le président. Et autant dire qu’elle a dû cravacher. Pas de doute, j’en tiens l’état actuel de mon estomac pour preuve, nous sommes en face d’une pure macroniste, une 100% de vraie, une authentique Valkyrie en pleine chevauchée.

L’intéressée ne serait pas d’accord avec ce constat qu’elle a d’ailleurs réfuté récemment. Faut dire que l’étiquette macroniste ne trouve pas la faveur ‒ comme c’est bien dit ‒ des classes populaires qui constituent une bonne part de l’électorat lillois. Spillebout serait seulement en train de le comprendre, c’est dire. Quoi qu’il en soit, elle a vite été rappelée à l’ordre par la hiérarchie, dont les propos ont dû ressembler, à peu près, à ça :

« Violette, c’est quoi ces conneries ? Askip tu serais "pas du tout" macroniste ? Tu délires ou quoi ? T’es une macroniste, nom de dieu ! D’où tu sors que t’es pas macroniste ? Mais ça va pas la tête ! Je vais te dire, t’es tellement macroniste que y’a pas plus macroniste que toi, à part peut-être le chef évidemment. Tu me crois pas ? Regarde, t’as trahi ton ancienne famille politique… Tu me diras, y’a pas que les macronistes qui le font… Après, tu t’affiches comme une candidate proche des gens mais t’attires que des cadres, des patrons, des… des gens biens, quoi. Tu dis que t’es du nouveau monde, mais tu t’entoures de vieux briscards de droite dure comme de gauche molle… et on peut même dire que toi t’es une vielle briscarde… si c’est pas macroniste ça. Et attends, j’ai pas fini, en terme de répression, très clairement, t’y es pas allée de main morte, avec toi la police municipale aura une putain de force de frappe ! Des armes, des effectifs supplémentaires, des caméras partout… Bravo, Violette… Tout ça pour dire, Violette, que tu es une macroniste, une vraie de vraie. Allez, fais-moi le plaisir de communiquer immédiatement un démenti. Je te fais la bise. »

Je me noie en plein délire.

Mon bide fait du tourniquet.

Tout ça n’est qu’un putain de cauchemar.

Pour me préserver et par souci de vous ménager, je vais m’arrêter là. Spillebout aura peut-être la mairie de Lille. Eh bien, si c’est le cas, et malgré les risques encourus, je fais, ici et maintenant, le serment solennel de la lui arracher en 2026. Chacun son tour…

… « et c’est alors le parangon adulé de la bêtise humaine qui vous salue. »