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HLM à Euralille : le « vent de renouveau » a un goût de vieille rengaine

« Salut Letartier ! » Pour une fois, ce n'est pas le directeur de la rédaction qui fait office de réveil à cette heure si matinale. Non, il s'agit d'un vieux pote à qui j'avais promis de donner un coup de main pour son déménagement dans un des nouveaux HLM tout beaux tout propres de la société SIA Habitat...


• La cervelle encore brumeuse, l'oreillette en mode « on », j'arrive à entrouvrir les yeux en direction de mon horloge holographique dernier cri. Il est 11h30, on est samedi et je suis encore tout en-rhumé de la veille. Et l'autre, de continuer à cracher dans le combiné :

« Tu te souviens que c'est aujourd'hui qu'on déménage ?

– Quoi ?! Déjà ?!

– Bah ouais déjà ! Ça fait juste trois ans qu’on attend une place en HLM !

 – Ok, ok… Et c'est où déjà ?

– Boulevard de Verdun, en face de l’autoroute, près du métro Porte de Valenciennes.

– Après le Bois Habité et Euralille 2 ?!

– C'eeesssstttt çççaaaa ! »

LE BOIS HABITÉ ! EURALILLE 2 !! Et maintenant PORTE DE VALENCIENNES !!! Les fleurons des dernières trouvailles urbanistiques portées par la mairie de Lille !!! Incontournables, les exemples mêmes de ce qu'il faut faire en matière d'aménagement. Même la mairie le dit : « Un vent de renouveau », un malicieux mélange de dynamisme à la Euralille, de volonté d'en faire un vrai quartier et de mixité sociale !

La description que font l'Atelier 9.81 (maître d’œuvre) et SIA Habitat (maître d'ouvrage) du bâtiment en question me fait saliver d'envie d'y habiter à mon tour : « Profitant de ce futur angle de rue, le programme bénéficie du meilleur apport solaire passif du secteur. C’est donc avec logique que les architectes ont maximisé les ouvertures afin de profiter de cette source naturelle. Ils créent ainsi des logements traversant et lumineux. Les façades alternent entre coursives et espaces de vie avec une coloration de ces creux, elles donnent vie au projet. »

Bref ! Même si je ne sais pas ce que veut dire « meilleur apport solaire passif du secteur » (en même temps ça sonne bien), l’excitation de pouvoir poser le pied sur le sol de l'un de ces lieux BBC (Bâtiment Basse Consommation) est à son comble et bien plus. Ni une ni deux, je me jette dans mon pantacourt de compète. Un café, une clope et je me dirige vers le dit lieu au volant de ma little béluga (c'est ainsi que j'appelle ma nouvelle voiture, moins voyante et moins polluante que mon ancien bolide rouge chromé qui, au cours d'un voyage bien arrosé, s'est vu par un camion écrasé. Mais ceci est une autre histoire…).

À l’arrivée je ne suis pas déçu : un bâtiment blanc flambant neuf, de belles grilles grises, des trottoirs bien propres, un accès sécurisé avec badge, tout y est ! Et en plus, c'est du HLM… La mairie aurait-elle enfin compris qu'il fallait arrêter de faire des constructions au rabais pour les pauvres, comme s’ils n’en valaient pas la peine ?

Je passe une grille dont la couleur grise (c'est la mode du moment en architecture) s'associe parfaitement au bruit de l'autoroute toute proche, puis la porte de l'immeuble au vitrage parfaitement doublé voire triplé. J’arpente le hall d'entrée bordé de boîtes aux lettres toutes neuves (et pas encore défoncées). Je retrouve mon pote chargé des premiers cartons et meubles, et j'emprunte avec lui l'ascenseur qui sent encore bon la technologie sortie de sa boîte d'emballage et m'envole vers le sixième étage (l'extase moins un). Je suis pressé de découvrir la coursive qui dessert les appartements. Vous savez, ces couloirs extérieurs tels qu'on peut en voir dans les motels des films américains ! J'adore !

 

Premières déconfitures

Arrivés au bon étage, nous sortons de l'ascenseur. Là, dans ce petit hall, nous sommes accueillis par deux ouvriers du bâtiment (en chasuble orange) et d'un jeune contremaître (c'est celui qui a le crayon en main). Il y a problème avec la porte qui permet d'accéder de l'ascenseur à la coursive extérieure… Comme dit l'adage, c'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures. Et ici, c'est presque pareil. Mon pote leur demande alors :

« Bonjour, je suis un locataire de cet étage, qu’est-ce qui se passe ? »

L'un des hommes en orange lui répond :

« La poignée de la porte s'est coincée et on ne peut plus passer.

– Et il y a un autre passage ?

– Non, c'est la seule issue… »

Là, je vois mon camarade tourner moutarde/ketchup.

« Mais c'est complètement dingue ! Il n'y a même pas de sortie de secours en cas d'incendie ? »

C'est au tour du jeune contremaître d'entrer dans cette valse des mots (ou maux) :

« Nous sommes vraiment désolés. Nous allons faire notre possible pour régler ce petit problème de porte. Vous savez, nous avions installé des poignées qui correspondaient à l'usage de ce passage, mais l'architecte a fait un caprice et nous a obligés à les changer par celles-ci qui ne sont pas conçues pour.

– Mais comment ça se fait ? »

Tout penaud, celui qui porte le crayon n'a d'autre solution que de lui révéler la vérité :

« La couleur des poignées ne correspondait pas... »

Un blanc de consternation de vingt secondes plus tard, les travailleurs du chantier prennent l'initiative de forcer la porte d'un majestueux coup de pied bien placé. Et de lancer : « C'est réparé ! »

Le déménagement reprend son cour. Nous déchargeons meubles et cartons de l'ascenseur jusqu’à l’entrée de l’appartement. On essuie les plâtres, après tout ça peut arriver, et mon excitation à découvrir ces logements traversant et lumineux reste pleine et entière.

Ça sent la peinture fraîche, c'est clair et lumineux, le vitrage empêche pleinement les bruits de l'autoroute d'arriver à nos oreilles, et en plus il y a une terrasse ! Je m'imagine déjà à rendre visite à mon pote et m'accouder à la balustrade, la clope au bec et la chope à la main, à contempler l'autoroute tel un capitaine sur ces flots goudronnés.

Malheureusement ces flots ne sont pas que routiers. Le plafond connaît plusieurs infiltrations d'eau. Ça perle et auréole dur. Et visiblement, ce n'est pas le seul appartement à être victime de douches invasives. À partir de ce moment, ma ferveur à défendre les positions « solidaires » de la politique municipale commence à s'estomper. En même temps, fallait pas s’attendre à du Carlton !

 

C’est toujours la faute des ascenseurs !

« C'est pas tout ça, mais les cartons ne vont pas monter les étages tout seuls ! » Mon pote a bien raison, les drones déménageurs n'existent pas encore. Heureusement, il y a l'ascenseur. Et depuis quelques jours, ce nouvel immeuble tout neuf ne venant que récemment d'ouvrir ses portes à ses nouveaux habitants, cet outil révolutionnaire qui nous évite de gravir les étages à pieds en a vu passer des vertes et des pas mûres : meubles en tout genre, canapés d'angle, buffets de grand-mère, réfrigérateurs king-size… Pas étonnant donc que l'inévitable arrive, je veux parler, bien sûr, de la célèbre panne d'ascenseur…

Oui, cette technologie révolutionnaire ne l'est pas pour tout le monde. À croire que la qualité du matériel posé est proportionnelle au loyer versé, même si sa charge d'utilisation est la même. Au bout du compte, c'est marche par marche que nous allons déménager la plupart des affaires…

Vu la charge de travail titanesque qui nous attend, il me faut trouver une solution alternative. Mon pote, complètement désabusé par la situation (il est passé du rouge ketchup au vert tapenade) est entré dans une lutte téléphonique avec le service d'urgence SIA qui, sous couvert qu'il ne peut que transmettre l'information de la panne au prestataire d'entretien de l'équipement en question, ne fait pas avancer l'affaire. Je m'approche alors de lui et dit :

« Pour ce que ça vaut, gars, je te propose d'appeler la Flèche Bleue ! Il est bâti comme un roc et a une endurance de marathonien. Qu'est-ce que t'en penses ?

Vas-y, fais c'que tu veux… À c't'heure, tous les bras sont les bienvenus. »

Ni une ni deux, j'enclenche mon GSM et appelle sieur Flèche Bleue. Depuis qu'il avait cartonné avec un article pour Lille43000, je savais qu'on pouvait compter sur lui. Et ça n’a pas manqué : quinze minutes plus tard, il est là, porté par un soleil aux rayons vélocipédiques, et le déménagement reprend une énergie du tonnerre. Même l'outil ascensionnel reprend du service, un vrai miracle populaire… qui ne dure que deux minutes. Juste le temps qu'une déménageuse s'y fasse emprisonner…

En totale panique de voir son amie prise au piège, le voisin qui emménage ce même jour appelle à son tour le numéro d'urgence de SIA et tombe sur une interlocutrice sceptique quant à la véracité de l'histoire d’une personne coincée dans l'ascenseur. Avis aux âmes sensibles, ce qui va suivre est choquant. La réponse de l'agente de SIA à sa demande d'intervention d'un technicien est la suivante : « S'il se trouve que personne ne se trouve dans l'ascenseur, l'intervention du technicien vous sera facturé Monsieur... » Le nouveau locataire passe du blanc crème fraîche au rouge piment. Ne manque plus que la fumée sortant de ses oreilles pour qu'il ressemble à un personnage de cartoon en colère…

Je m'écarte un peu du groupe pour faire le point avec moi-même. Ça ne doit être qu'un problème passager de gestion des urgences. Cette situation ne cadre pas avec le projet vendu par la mairie de Lille sur la continuité d'Euralille 2, le fameux « vent de renouveau ». Je suis dans un cauchemar et je vais me réveiller, il ne peut en être autrement. Allez, soyons patient. Après tout, Christophe Cappe, président du Groupe SIA Habitat, est connu pour son professionnalisme sans faille et sa qualité de « remises en causes de nos façons de travailler », d'autant que les entreprises de l'immobilier social bénéficient d'atouts tels qu'« un taux de livret A historiquement bas et d'une absence de fiscalisation des plus-values générées par la vente de terrain aux bailleurs sociaux » (Autrement dit, 19/09/14). Bref, autant de pognon de dégager pour gagner en qualité. Non ?

Une heure passe et toujours pas de nouvelle d'un quelconque technicien. Il est presque 20h30, la déménageuse est toujours coincée dans la boîte de conserve et les réfrigérateur, machine à laver, cuisinière et meubles attendent sagement devant la porte de l'ascenseur.

 

La gestion de « l'urgence » version SIA habitat

Le voisin reprend le combiné une deuxième fois pour tapoter les numéros du service d'urgence SIA. Une interlocutrice plus loquace répond. Elle retrouve bien un dossier au sujet d'un problème d'infiltrations d'eau dans son logement (lui aussi...) et, apparemment plus difficilement, la trace de l'appel d'urgence effectué une heure plus tôt. Tout aussi choquant, attention âmes sensibles, elle poursuit la discussion de ces mots : «… OuhlalaIl y a quelqu'un de coincé dans l'ascenseur ?… Donc, euh, il faut faire un contre-appel aux pompiers, je suis en train de gérer la demande auprès des prestataires, mais on a un souci sur le contrat… Mais rien de grave, je vous rassure… » Et de rajouter en fin de conversation : « Par contre, sachez que s'il n'y a personne de bloqué dans l'ascenseur, l'intervention vous sera facturée… »

Dix minutes passent. Les pompiers, taillés en V réglementaire, déboulent à cinq pour libérer la déménageuse. À l'aide d'une de leurs longues clefs magiques, ils l'extirpent de la boîte à sardines. Elle est saine et sauve, et a plutôt le sourire à la vue de ces carrures de rugbymen.

« Bon, c'est pas tout ça, mais moi je me refroidis ! Letartier, au boulot !! » D'un coup, je sursaute. Non, ce n'est pas le directeur de 43000 qui me hèle, mais bien Flèche Bleue qui se sent pousser des ailes. Décidément il est increvable. Et nous voilà repartis pour deux allers-retours, et je ne sais combien de marches, à monter des meubles jusqu'au logement de mon pote.

Je suis prêt à tomber de suffocation au milieu des escaliers avec un vaisselier en chêne brut sur le dos, mais je me ressaisis et gravis, difficilement, les dernières marches. Pas à pas, l'objet dorsal me paraît peser une tonne. J'arrive néanmoins à atteindre tant bien que mal la porte donnant sur la coursive extérieure. J'actionne la poignée et un filet d'air frais revivifie mon visage et sèche ma sueur. Plus que quelques mètres, les plus longs, et nous sommes arrivés à la porte de l'appartement. Plus j'avance et plus je sens mon dos se courber Quasimodo et mes jambes s'enfoncer dans le sol. C'est presque à quatre pattes que je dépose le dernier meuble de la soirée dans le salon.

Après s'être désaltéré d'une ou deux cannettes (il est important de bien s'hydrater !), nous redescendons, Flèche Bleue (encore frais comme un gardon) et moi (complètement lessivé), rejoindre les locataires en colère dans le hall de l'immeuble. L'un d'eux s'emporte : « Non, mais c'est n'importe quoi c'bordel ! Déjà que quand la porte de la coursive est bloqué, ben t'as qu'à crever, on vient maintenant de s'apercevoir que la sonnette d'appel d'urgence de l'ascenseur n'est même pas connectée !! »

Pour la troisième fois de la journée, le voisin de mon pote compose le numéro d'appel d'urgence SIA (il est 21h00). La même interlocutrice répond (la pauvre). En résumé, elle ne peut rien faire de plus avant lundi, idem pour les meubles qui squattent devant l'ascenseur, à nous de nous démerder. Le nouveau locataire a beau lui proposer la solution qu'un agent de SIA vienne ouvrir un des logements vides du rez-de-chaussée pour stocker les derniers meubles, elle répond, et je la cite : « Je ne pourrais pas Monsieur, pas d'astreinte. Nous, nous sommes là pour prendre des mesures conservatoires, nous ne pouvons pas appeler les supérieurs pour ce type de demande… » Ceci dit, elle garde son sang-froid et un flegme admirable. Je ne sais pas combien elle est payée pour faire ce travail, mais elle n'est qu'un pion de l'échiquier SIA Habitat.

 

Bilan de ma journée : malfaçons de constructions, défauts de sécurité en cas d'urgence, ascenseur non entretenu…

Je repars chez moi et, sur le chemin du retour, un vieil air de rap me trotte dans la tête. Mon adolescence et ses velléités révolutionnaires resurgissent. Mais pour autant, toujours une vieille rengaine… En 1997, IAM chantait déjà : « les élus ressassent rénovation, ça rassure, mais c'est toujours la même merde qui pousse derrière la dernière couche de peinture ».

Arrivé chez moi, je m'installe dans mon fauteuil et commence à écrire ces lignes sur mon Mac. Un instant, j'ai l'impression de passer à côté de quelque chose d'important, tel un songe prophétique, une hallucination bien réelle, comme si l'avenir de ce nouvel immeuble HLM tout beau tout rose était déjà dessiné…

L'ascenseur défectueux, les problèmes de sécurité, la flotte qui perle dans les logements et cette putain de proximité avec le périphérique ont comme un air précoce de barre Marcel Bertrand

Décidément, le « vent de renouveau » a un sale goût de peinture fraîche cache-merde ! •