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La file d'attente à Transpole ou comment rappeler aux chômeur-ses que la télé est leur meilleure amie...

Depuis quelques mois, je participe, comme beaucoup d'autres, à grossir, doublement, les rangs des actif-ves en mal de travail. Oui, doublement, et je suis loin d'être le seul. Le travail, étymologiquement tripálĭus du latin tripálĭum (« instrument de torture à trois poutres »), rappelons-le en ces temps où la crise a bon dos alors que les entreprises du CAC 40 n'ont jamais fait autant de profits, entraîne des wagons de burn-out à force d'être pressés comme des citrons jusqu'au pépin. Et ça m'a viscéralement rendu malade.


• Résultat, double peine oblige, nous nous retrouvons sur le presse agrume et, aujourd'hui, (pol)employons notre temps à retrouver une activité rémunératrice de plus en plus rare, donc chère...

 

« Pass-pass » ta carte ! Sinon « Bip-bip » le coyote vert va faire « pan-pan » !

L’autre jour, suivant le rituel mensuel consistant à me rendre à la station de métro République pour actualiser ma carte « Pass-pass » en mode « Iris » qui permet aux chômeurs de voyager gratuitement, je suis le témoin ordinaire d'une situation banalement ordinaire dans un monde tristement ordinaire.

Déjà, l'idée d'aller actualiser cette puce RFID, cet outil de contrôle qu'on nous oblige à s'auto-affliger me fait vertement gerber. On pourrait se dire : « Bon... c'est pour les stat’, y'a pas d'mal ! » Que nenni ! Il s'agit bien d'un outil de flicage et pas uniquement en mode répression. Ce moyen permet de connaître nos habitudes de déplacements au même titre que nos navigateurs web permettent de connaître nos habitudes de consommation et amènent à des pubs ciblées... Maintenant il faut biper à chacun de nos passages, de nos bifurcations et, finalement, de nos choix. On est obligé de biper. Même les dépositaires de la carte « Iris » qui, par définition, peuvent voyager librement, sont obligés de biper, au risque de se prendre un procebal…

Ironie du sort technocratique, depuis la mise en place de la billettique sans contact, la fraude serait en train d’exploser et les défauts d'installation du système coûteraient déjà 17 millions d'euros, sans compter les « incivilités » envers les contrôleurs qui ne cessent de croître.

Éric Quiquet se fait une nouvelle fois kicker, mais il refuse toujours de croire que la gratuité des transports puisse coûter moins chère...

 

Sommes-nous des moutons RFIDiés ?

Ce jour-là, donc – oui ce fameux jour dont je veux vous parler depuis environ 2000 signes –, les guichets sont relativement bondés et je peux remarquer que la plupart des personnes formant cette masse kafkaïenne tiennent en mains les précieux documents, sésames du renouvellement de leur liberté, contrôlée, de circulation sur le réseau Transpole. Oui, comme moi, elles ont, pour une grande proportion, au sein des papiers susnommés, un reconnaissable entre tous, la fameuse carte rose de Pôle emploi... Et, majorité dans la majorité, il s'agit surtout de femmes âgées de 25 à 55 ans, avec ou sans poussette, mais quasiment toutes (et tous) outillées de smartphone, à chatter ou conter, à haute voix, leur dernière aventure à leur mère ou leur fille. On ne peut donc pas dire que les précaires sont asociaux.

Mais ici ne se situe pas mon étonnement. Quoiqu'en partie…

Suspendus au mur au-dessus des guichetier-ères à la mine patibulaire, des téléviseurs à grands écrans plats diffusent deux pages d'informations espérant, en somme, nous faire patienter sans trop risquer un énervement général. Toutes les quinze secondes environ, ces deux mêmes pages se relaient, de vrais coups de marteau propices à enfoncer un clou rouillé et récalcitrant. La première info, comme si nous pouvions l’ignorer vu que nous avons parcouru tout ce chemin pour atteindre ce lieu-même, souterrain, présente la météo du jour. Heureusement que je n'ai pas attendu d'être là pour prendre mon parapluie... La deuxième, peut-être pour nous rappeler que nous avons que ça à foutre, est... le programme télé de la soirée.

Là, je pète un câble. Transpole and Co se foutent de la gueule du monde. Dans un élan de révolte et de libération des consciences, je prends la poussette, vide, de ma voisine de file et la jette sur la vitre plexiglas des guichets. Vu que je suis plus que doué en projection en tout genre, je fais mouche, la vitre éclate, sans faire de blessé, mais tout le monde s'affole, je les ai réveillés. J'en profite pour me ruer dans la cabine et arracher les fils d'une des télés. Victoire !

En tout cas dans mes rêves, l'attente me fait divaguer...

C'est à mon tour de passer devant l'agente qui prend d'abord trente secondes pour se nettoyer les mains à l'aide d'un gel alcoolisé avec un air de dégoût pour la personne qui me précédait. C'est à croire que la pauvreté a une odeur… En effet, il se trouve qu'elle était aussi détentrice du papier rose. Hasard, réalité ? Peut-être un peu des deux, mais rappelons, au sujet de la misère, que la précarité ne touche pas que les chômeurs. On n'a jamais compté autant de travailleur-ses pauvres qu'aujourd'hui… Donc balayons les préjugés et les regards de dégoût ! Je lui file mes doc', merci, au revoir. Mais j’essaie quand même, avant de partir, de savoir auprès d'elle si la météo et le programme télé de la soirée sont les seules infos à être diffusées sur ces écrans. Et la guichetière de me répondre d'un mémorable et éternel « Pppprrrr, j'sais pô ! »

 

Comme notre pulpe a tout donné, ils rongent notre zeste !

Tout cela vous semblera peut-être anecdotique, mais moi ça m’interroge.

Déjà, on se fait fliquer dans nos moindres mouvements. Bip-bip le coyote vert veille au grain ! À quand l'installation directe de la puce RFID dans la paume de la main ou dans le bras ? Quoi ! Ça existe déjà pour limiter l'immigration dans certains pays ?!

Mais fliquer le corps, ou sa liberté de mouvement, n'est pas suffisant. À croire que c'est fait exprès, alors que la plupart des personnes que j'ai croisées aux guichets sont, comme moi, des sans-emploi qui renouvellent leur abonnement « Iris », que les infos diffusées sur ces écrans concernent la météo et surtout le programme télé de la soirée. À croire que Transpole and Co perçoivent des dividendes des chaînes télévisées pour passer ce genre de promo et ainsi s'assurer une audience, notamment auprès d'une population de plus en plus chômeuse. Après tout, nous, inactif-ves, n'avons que ça à faire ? Bouffer de la merde tout en regardant de la merde ! Au moins, comme ça, tels de bons homo œconomicus de classe « inférieure », nous continuons de consommer et d'alimenter l'économie capitaliste ! À croire que même nos pensées sont fliquées… •