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Rome – Bari – Corfou – Venise – Rome

Circulez, y a tout à voir.

Les Grecs, comme les Romains, les Villiers-le-bellois et le monde entier, n'ont pas inventé le feu, mais ont appris à le maîtriser, cramant coup pour coup les restes de ce vieux monde qui les a mis dans la merde. Après avoir goûté un instant les mondanités romaines du Roma Independant Film Festival (Riff), nos trois héros, dont la micro-caméra embarquée de votre serviteur, le désormais célèbre aventurier Samuel S. ("Huntingtown") Bertoni font équipe vers L'île aux mille couleurs, Corfou. Histoire de voir si le paradis, ressuscité de ses cendres, aura encore de la gueule. Journal de bord.


C'est pour toi, que je joue

Grand-père, c'est pour toi...

Exilé de Corfou ou de Constantinople

Ulysse qui jamais ne revins sur ses pas

Je suis de ton pays, poète comme toi

Un enfant, de l'enfant, que te fit Pénélope...

G. Moustaki

 

21 mars 2011

Port de Bari (Italie/Pouilles), ce lundi soir pluvieux.

Marrant, de voir sillonner les mouettes sous la pluie, elles sont pas habituées. On est partis hier soir en "camper" (un Mercedes Sprinter, 2.9L ! ça avale bien les kilomètres !) de Rome, on a fait une pause ce matin à Foggia, limite des régions Molise et Pouilles, et on a dévalé le reste de la côte adriatique sous ce temps de merde. C'est au milieu des camions, sur le quai, que je me rappelle du soleil de Bari, assis ici sous les rouspétages des mouettes. Autour, des camions bulgares, italiens, slovaques, bulgares. Les Bulgares sont connus pour le taxi privé, de côte à côte. Et Bari, de côte à côte, j'espère vite y revoir quelques amis, une vieille histoire, cette capitale du cactus et moi. Au check in, on m'a dit qu'il n'y avait pas encore d'infos pour mon retour. Un aller simple pour Corfou, donc. Banco. C'est aussi ça, journaliste gonzo...

De la salle "lounge", après, enfin, un sacré repas[1], on voit des fenêtres la nuit du port commencer à se mouvoir, correspondant ainsi au sourd ronron des moteurs : on décolle, ciao, continent ! À peine une minute après, une cloppe commence à s'allumer, en plein salon restaurant, puis deux, puis dix, sur environ 40 convives, dont au moins 5 femmes (personnel exclu), encore une quinzaine dîne, pourtant, personne n'a la moindre intention de moufter. Mon amie me dit : « Alors ça, c'est vraiment la grecque attitude. Tu vois le capitaine arriver les mains dans les poches, causer à ses potes, qui, tous, fument. Là-bas, me confie-t-elle, tout le monde fume, partout, dans les bus, les restos, les facs... En Norvège [où elle vit et travaille, car elle est Slovaque et que ça paye mieux sous le cercle polaire], tu verrais déjà les gens faire une émeute ! »

Un gadget a tranquillement fait son apparition, simultanément des cigarettes. C'est le "koboloi", sorte de petit bracelet ou chapelet garni d'un pompon, fait de perles ou de pierres, que le Grec, apparemment content, fait cliqueter en sa main, hop, un coup en haut, un coup en bas, comme s'il voulait nous inviter au rythme de son humeur. Petit mouvement perpétuel signe pour moi du plus profond ennui, j'imagine juste qu'ils ne doivent pas être trop stressés. C'est dans cette ambiance, résolument hellénique, que je m'aperçois que ça doit bien être en Grèce que je trace, à 20 nœuds. Pas de doute : je ne reconnais, pour une fois, rien du tout.

Corfou, cette île, au réveil ensoleillé, me paraît en effet rien d'autre qu'une sortie de rêve, peuplée de ses si différentes réalités.

 

22 mars

Le ferry "Olympus London" ouvre son pont et accoste, déversant ses quelques camions et nous parmi. Les flics laissent couler le Sprinter qui a tôt fait de se faufiler dans Corfou, Kerkeira City[2]. Des pins parasol, des cyprès par centaines, mais surtout une luxuriance de beautés végétales d'une rare richesse nimbe le joyeux bordel napolitanoïde de maisons "coloniales", de simples maisons chaulées, de ces quelques hôtels plus ou moins chics, dans un relief de collines surtouffues. Ici en tout cas, le printemps ne s'est pas fait attendre, il semble ici de toute éternité, bien que les hivernaux citronniers portent à plein. En fond, les plus larges et austères montagnes de la cote albanaise, à peine quelques brassées plus loin : l'Italie, c'est loin à présent. Au premier plan, la Grèce. Ses panneaux en deux alphabets, ses brunes commerçantes à la charmante et imbitable langue, ses bagnoles insulaires dans tous les sens... qui jusqu'ici ne crament même pas. C'est joli, la Grèce, mélange de rêves de Balkans et de Sud italien, ça a l'air jovial et fier. On va trouver nos amis du squat Eleia[3], qui depuis l'an dernier en ont ouvert un second (le Drakka), en pleine ville cette fois, à deux pas du commissariat local. Ils sont même en bons termes. À l'échelle d'une si petite ile, c'est vraiment un beau boulot. Il y aurait genre 120 maisons vides, à Corfou, manquerait plus que des promoteurs... ou des motivé-e-s.

 

23 mars

L'eau adriatique est belle, claire, mais froide. Je dois réécouter "Les eaux de mars", de Georges Moustaki. La Calanque où on pose nos fesses exploratrices est très agréable, pinèdes sauvages cascadant des ocres rocheux de la colline pour plonger de l'azur aux eaux vertes et bleues[4]. Je dois ajouter ici que même un daltonien sous cannabis peut distinguer les pôles de la chromatique (tiens, encore du grec, kroma, ce sera mon jeu favori, du séjour) "turquoise" (tiens, sûrement pas du turc, et bien qu'on n'ait rien entendu, de cette soi-disant revanchardise greco-turque de tout le séjour, de jeune en jeune : le nationalisme est bien un truc de vieux cons).

Ce soir, on fête l'anniversaire de mon ami. Les Arabes et les Grecs vont nous adorer encore un peu plus, et vice et versa. En attendant, helios (the sun), kanis (the dog), poseidon (la marque d'un VTT), et surtout : Malaka (con, putain) et ANARKHIA (absence de commandement)[5].

Le soir venu, c'est tout joliment son et lumière, à l'Eleia. Une répétition générale d'un groupe d'étudiantes pour une "performance" de danse. On nous demande de filmer, et je filme, suis, cadre, stabilise, zoome et dézoome ces sept charmantes jeunes squatteuses... mais non, ce ne sera jamais ça, le voyeurisme. Pourtant... c'est vrai qu'elles sont belles, surtout l'une, on dirait.

 

24 mars

Anniversaire dans l'allégresse, et nouveau petit déj’ sous le soleil de ce jardin immense et fleuri, aux ruines de thermes antiques quasi ensevelies, où les chiens adorent chercher les baballes. Projet de rando pour le lendemain. Un peu de cours de grec (voir encadré à la fin). Bonne journée de choure, en tout cas. Et le soir, fiesta et barbecue[6].

Le monde est petit, semble-t-il, ou le hasard a encore du boulot devant lui : l'un des copains de la bande, skipper, fut l'un des six capitaines de la "Flotille" qui partit avec des vivres et des ressources civiques pour la Palestine, l'an dernier, avant de se prendre Tsahal en pleine gueule. Il a encore la marque de la blessure d'un coup de crosse, derrière l'oreille. Je lui apprends que Le Monde Diplo fait justement la promo d'un livre sur leur équipée ô combien combattive, ce mois-ci, en "une". Il me demande qui est l'auteur. Un certain Thomas S.-H.[7]. « Ah, Thomas, yes, he's a friend... he was on my boat ». Il est gentil, et il est Corfiote, de partout.

 

25 mars

Rando, donc, on décolle. On arrive au nord de Corfou une heure de Kerkeira City. Petites montagnes, on s'éloigne du niveau de la mer en chantant du punk de l'Allier et en croisant même une pizzeria "Mare e Monti". Pertinent. La pizza mare e monti est faite d'une moitié à la pâte rabattue en "calzone" et remplie de jambon, champignon, tomate, tomate qui embrunit aussi l'extérieur, et l'autre moitié couverte de menus fruits de mer. On a effectivement ainsi la poétique impression de manger de la plage et de la montagne. Miam.

Trois bagnoles, on est treize dont quatre filles et leurs quatre mecs, plus deux chiens, barges tous les quinze. Départ, le village en ruines de Periphia est agrémenté de ruines retapées en tavernes. Peu de touristes, à part nous, pas la saison. Une église, ses deux cloches au "clocher" plat, devant la bâtisse. Deux églises. À la troisième église en 500 mètres, pause pétard. Les chiens ont même pas encore soif, nous même pas mal. Des milliers de petites fleurs bleues et blanches et quatre pétards plus loin, ainsi que quelques claquages de barres, on redémarre. On y croit bien 500 nouveaux mètres, sur un sentier vraiment loin du GR 20, puisque très plat et praticable, à la vue de ces prometteuses collines de rocaille et plus loin, clairsemées d'oliviers et de chèvres. Mais 505 mètres plus loin, on aperçoit derrière une de ces collines... le village en ruines, la première église, et les bagnoles. Fin de la ballade. 1005 mètres, une rando à la grecque. On est un peu sur notre faim d'aventures. Du coup, nos amis nous emmènent voir un autre truc un peu plus loin, Yannis ajoute même « You have to see it », dans un grec assez shakespearien. On se gare sur le haut d'une autre colline, plus bas dans la montagne, terrassée d'un genre chic et classique qui fait la joie facile des bourges du cru. Pierres plus jaunes, mais surtout plus lisses. Sauce antique, quoi.

On dévale la colline, tout fous, d'autant qu'en dessous de la jaune et grise falaise immense en aplomb, la forêt ombragée se densifie presque en jungle. Quelques dizaines de mètres plus bas, les feuillus de la jungle laissent apparaître une immense bouche noire, gigantesque caverne aux énormes stalactites, dont le fond baigne dans une obscurité fraîche et une eau froide, exclusivement minérale. Niveau plein les mirettes, ça va tout de suite mieux. On explore, y a même des restes d'ossements, des côtes, on sait pas bien si de mouton ou de Roumain. On se délecte du paysage insolite et pentu, et on repart à la taverne de Periphia.

Accueillis à treize par treize godets d'un méchant petit truc blanc qui n'est ni du raki, ni de l'ouzo mais vaut bien le détour, on ne tarde pas à se remettre de nos émotions, à voir rerosir le visage de Djamel, et à s'en mettre, jusqu'à la nuit, plein la panse, et plein la tronche[8]. Chansons, sirtaki, bouzouki, rebetiko... et les étoiles, partout.

Tavernier corfiote

 

26 mars

C'est mon dernier jour. Réveil montagnes café 'sifflard. On a (mal, surtout moi) dormi là. Trop frais pour le hamac. Nuit couverte et vent de  taré, matinée aussi. On attend le retour de nos amis. 12h, départ, cette fois on la veut, notre rando. Moi je suis surtout un peu pressé de rentrer faire mon sac pour ne rien oublier, mais surtout pour (re)voir le spectacle de danse, de ces  6 filles et "cette" fille, qu'elles ont livré hier soir et ce soir encore : la brune à l'air jeune mais grande, la brune plus frisée à l'air embruni, la brune à lunettes et jolie frange (Sophia ?), la petite énervée francophone (Anthi), la blonde mince qui fait parler mon ami, la blonde forte et jolie, et la... la plus troublante. Des images de ses yeux, de ses regards furtifs et pénétrants, intimidés et fiers, rieurs et mystérieux, ne me quitteront plus de toute la randonnée nuageuse et joyeuse. Il faut que je sache comment elle s'appelle, bordel.

Bref, je profite néanmoins de la splendide gorge encaissée qui dévoile en aval un tout mignon village en ruines, complètement, celui-là. C'est lui notre objectif, on sortira du sentier battu. On convainc nos amis que pas de pause pétards avant le village serait sage. Rires grecs, slovaques, franco-belges... voire italiens. Joli village, ou ex. Pas de poteau électrique, les gens ont dû partir avant l'électrisation de l'île, style années 50. Par contre, six puits, et... deux ou trois églises (on sait jamais)[9]. Une ruche maousse accrochée à un plafond, et heureusement abandonnée aussi. Vassili me confie que la plus grosse qu'il ait vue de sa vie était trois fois plus petite. Brrr. Accueillant, néanmoins, mon pote voudrait faire de ce village un squat entier. J'espère surtout ne pas le retrouver cadre du Club Med dans vingt ans, mais je pense pas. On remonte. On bagnole jusque la côte pour des courses et une taverne joliment polonaise[10].

Et on arrive en ville...

Et c'est la nuit blanche, belle entre toutes.

Samuel S. ("Huntingtown") Bertoni sur le terrain

 

27 mars

On a changé d'heure, non content d'avoir en Grèce une heure fuseau plus orientale, ça fait de sacrés calculs pour pas louper mon bateau si tôt le matin.

Salut Corfou, à très bientôt. Prends bien soin de tes migrants, de tes 120 maisons vides et de ses squatteur-euse-s, et prends soin de tes danseuses.

Bari ne sera donc pas pour tout de suite, car du soleil à la pluie, mon Corfou-Rome fait escale à travers tout l'Adriatique, pour me faire retoucher le Vieux Continent à... Venise. Histoire de commencer prudemment, entre mer et terre.

Une jolie blonde germanophone qui me sourit au réveil, sur les moquettes lustrées du ferry "Olympia Palace" "Highspeed", on arrive dans une heure dans la lagune vénitienne et sa baie embrumée[11]. Pour commencer l'heure d'été, que demander de plus ?

 

Épilogue (et dernières bribes de grec !) :

 

28 mars

Venise. C'est bel et bien la plus belle ville du monde, pour qui n'a jamais vu Los Angeles.

Ce qui frappe, une fois repu de ruelles et de rues, toutes nommées ici "rio" ou "calle", qui plongent leurs façades centenaires dans des canaux, ces ruelles, sentiers, avenues et passages aquatiques, jouant avec la "terre ferme" à qui-mieux-mieux de petits ponts, ce qui frappe le flâneur étranger, une fois rassasié de ces maisons aux vitres impeccables du verre de Murano, l'île voisine, de ces ruelles majestueuses aux couleurs tranquilles comme une Alsace plus renaissante que kitsch, ce qui frappe comme par son absence, c'est le silence. Ici, le bruit des voitures est parti. Le clapotis des canaux l'a remplacé. "Pax tibi marce evangeli stà meus", dit le livre que tient ouvert le lion ailé des armes de Venezia. Je demanderai à ma pote bilingue italien-latin si je me goure, mais ça semble parler de paix, crénom de dieu. Et c'est bien ça qu'on trouve ici, nonobstant les scores de la Ligue en Vénétie, région n°1 des PME. Cocteau aurait parlé de cette ville où les pigeons marchent par terre et où les lions ont des ailes, et en un clin d'œil, on peut y croire. Car entre deux taxi-bus "vaporetti" motorisés, on peut entendre sortir d'une maison un exercice de piano ou un violoniste vous accompagner encore au-delà d'un ou deux coins d'la rue[12].

Et entendre, entre deux couples de touristes de merde du monde entier se photographier, immortels romantiques d'un jour, d'un pont à l'autre avec gondoles en fond, entendre la seule chose décente, que de ville en ville, inspire les pigeons : roucouler.

Quand je serai moins seul, Venise, oh oui, je reviendrai. Car en grec de Corfou, maintenant je sais son nom. •


[1] Dîner Olympus London : pain, parmesan, pâté de canard aux genièvres, roquette, scamorza fumée, foccaccia ai pomodorini. Vin rouge.

[2] Petit déj’ corfiote : café, pain longuet au chocolat et sésame.

[3] Dîner Eleia : pain, scamorza et roquette, poissons frais frits aux citrons du jardin. Retsina (sorte de vin blanc, mais doit contenir les racines ou les feuilles de la vigne aussi, car c'est putain d'amer). Ouzo (un poil moins fort, mais surtout plus doux, que le pastis).

[4] Petit déj’ au soleil : saucisson, "pizza cioccolato di pasqua" (et véritable arnaque pour faux panettone), café, soda pamplemousse, pain, pâté, sauce "tzigane".

[5] Goûter et dîner en ville : soufflakis, sorte de petits sandwiches genre kebab, mais la viande est sans doute du porc genre "gyros". Le piquant n'est plus harissa mais tabasco, et ils garnissent de quelques frites en plus des tomates, oignons, salade. Et l'inimitable sauce blanche, Tzatziki stylee. Plus petit que le Kebab, mais va trouver des deux-tiers de kebabs, de Londres à Berlin, à 1,50 € voire 2€ !! chiche, kébab ? Soufflakis vaincra.

[6] Barbecue maison : un gros poisson carpé, de petits calamars, et des morceaux d'un poulet et d'un demi-autre. Pain. Chips aromatisées. Et vin, plein.

[7] Th. Sommer-Houdeville, La Flotille, Solidarité internationale et piraterie d'État au large de Gaza, Zones éd., 2011, 182 p., 12€.

[8] Taverne montagne à Periphia : salade pommes, orange, roquette, grenade ; tztatziki ; pleurotes grillées à l'ail et l'huile ; aubergines grillées ; frites persillées ; boulettes de porc ;  parts d'agneau (côtes). 10 pichets de vin, dont au moins la moitié offerts, plus les 13 méchants petits trucs blancs d'accueil. Bilan des courses, Djamel va bien mieux, moi aussi : pour 13 = 101 €. Sic.

[9] Piquenique village abandonné : pains, pecorino sauce "tzigane", 'sifflard, terrine aux canards genièvriés. Eau.

[10] Taverne gentiment polonaise : bouts de porc genre sauté zarb, poulet grillé au citron, bouts d'agneau, salade "grecque" : concombre tomate oignon olive féta, un fromage pané grillé, du pain, des frites... et du tzatzikiii !

[11] USS (héhé) "Olympia Palace" : (en plusieurs fois) pain, tzatziki, pomme, féta, tomates séchées, salade de poulpes. Retsina et vin rouge tout du long.

[12] Petit déj’ Venise : vin rouge final et salutaire, truc slovaque au chocolat noir et noisettes.