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Panique sur la vie nocturne

On le sait depuis quelques temps. Ville et préfecture ont décidé de réprimer la « vie nocturne » lilloise, invoquant les « nuisances » perpétrées par la jeunesse avinée et le saint « Ordre public ». Une fois de temps en temps, des bandes de policiers sont lâchées dans le secteur formé par la rue Masséna et la rue Solférino, aux heures les plus chaudes de la nuit. Un dispositif tellement impressionnant que le quartier des bars prend alors des allures de citadelle assiégée. Avant-hier soir, complètement pété que j’étais, je me suis retrouvé au milieu de ce vaste étau policier. Parano, paniqué, voyant des milices partout, je l’avoue, j’en ai vomi mon plat de pâtes.


 • « Aujourd'hui, je suis dans la répression, je n'ai aucun souci avec ça ».

Roger Vicot, le « Muscle Rouge » de la ville de Lille, n’a de cesse de déployer sa politique sécuritaire ô combien décomplexée. Lui qui estime que « la présence de la Police nationale en permanence doit être régulière au cœur des lieux de vie de la ville », se veut parfois l’idéologue « socialiste » de la répression prétendue vertueuse. Bientôt, faire la fête sera criminel. Et ce qui fait une des particularités de Lille pourrait bien disparaître. En tout cas, c’est ce que je me suis dit hier, paniqué par les hommes en bleu qui envahissaient les rues et encerclaient les fêtards du Resto Soleil.

A/F pour La Brique

Je n’aurais pas dû sortir. Je me remettais douloureusement de la cuite très sévère que j’avais prise la veille avec un ami qui, au petit matin, n’avait rien trouvé de mieux à faire que dégobiller dans mes chiottes et recouvrir le sol d’une épaisse bile jaunâtre. Durant toute la journée, j’avais ainsi traversé les turpitudes typiques d’un lendemain d’ivrognerie. Et, sur les coups de 22 heures, la nausée se faisant moins sentir, j’entrepris de faire une petite sieste salvatrice.

Manque de chance, ma saloperie de téléphone se mit à résonner une heure plus tard, et je pris une heure de plus pour me décider à répondre. Des amis, qui n’avaient pas contribué à ma déconfiture de la veille, me pressaient de les rejoindre illico presto au Resto Soleil, cette petite pizzeria-bar-salle de concert de la rue Henri Kolb. Hésitant au premier abord, j’eus droit à un argument de taille : « Allez, viens, on te paye des coups ! » Vous vous doutez, lecteurs et lectrices bien aimés, qu’il ne m’en fallut pas beaucoup plus pour sortir de ma torpeur et plonger dans un froid violent qui, étrangement, me galvanisa.

Un attroupement s’était formé devant le bar. On fumait, discutait dans ce qui semblait être la « joie et la bonne humeur ». A l’intérieur la fête était à son comble. Quatre « DJettes » pas étrangères au milieu libertaire lillois faisaient péter la sono et les personnes présentes se remuaient dans tous les sens sur un dancefloor bondé. Un instant, je me crus dans un cours d’aérobic tant l’accoutrement de certaines personnes ressemblait à… ça :

Mais un gobelet de bière fut jeté en l’air et la moitié de son contenu gicla sur mes cheveux ; je revins vite à la réalité. Les amis ne m’avaient pas menti. Comme s’ils avaient conspiré pour me mettre à terre à grand renfort de pressions, je ne sentis passer ni le premier verre, ni le second, ni le troisième, ni le quatrième, ni le… je vous passe les détails puisque, quoi qu’il en soit, je me retrouvai vite dans un état déplorable, titubant et ne sachant plus articuler. En outre, j’avais été éjecté de la piste de danse par un couple qui dansait un rock’n’roll énergique sur un air de Real 2 Real, ou de Corona, je ne sais plus. Partout autour de moi, je voyais des crêtes « punk » de toutes les couleurs, et ça chantait, et ça hurlait. Mon corps rentrait en surchauffe, suintant le houblon par tous les pores de ma peau : je commençais à flancher.

Je n’avais alors plus beaucoup de choses à envisager. Disons qu’il n’y en avait plus qu’une que je pouvais tenter : aller m’en griller une, devant le bar, afin de prendre l’air. Parvenant tant bien que mal à me faufiler jusqu’à la porte d’entrée, je fus stoppé par un ami qui me saisit aux épaules. Il en revenait et, d’un air grave, me dit : « Non, Jack, n’y va pas ! » Dans un même mouvement, plusieurs personnes se réfugièrent comme lui à l’intérieur et je compris très vite ce qu’il se passait : la police nationale était en faction, dans la rue.

Prenant mon légendaire courage à deux mains, je décidai d’aller observer la scène de plus près, malgré les insistances de mon ami. L’attroupement de fumeurs s’était considérablement réduit. En face de nous, au milieu de la rue, les policiers formaient une ligne et nous observaient sans bouger. La peur, peut-être, voire une sorte de terreur m’envahit. Et, moi qui étais pourtant resté sur une mauvaise expérience avec le dernier videur que j’avais rencontré, je m’approchai du portier, cherchant probablement inconsciemment sa protection. Ce dernier se démenait pour empêcher les gens de sortir du bar avec leurs boissons. Un type venait de prendre une amende parce qu’il tenait un verre dans la main… Les policiers n’attendaient que ça, carnets de PV prêts à être utilisés. Mais personne ne refit l’erreur. Alors, lassés, les hommes en bleu se reportèrent sur les voitures, en contrôlant à la torche électrique celles qui passaient devant le bar.

Pour moi, le choc fut violent. J’avais croisé quelques uns de leurs regards et, clairement, je compris que les policiers n'étaient pas vraiment là pour « maintenir l’Ordre » ou « assurer la Sécurité » des gens, mais plutôt pour impressionner, faire peur et passer l’envie de se désinhiber jusqu’au bout de la nuit. Pourquoi nous encerclaient-ils ? Pourquoi nous regardaient-ils sans broncher ? Une connaissance, qui arrivait de la rue Nationale, me fit paniquer davantage quand elle m’assura que le quartier était envahi de policiers, de la place de Strasbourg, où stationnaient plusieurs camions, jusqu’ici. Il y en avait partout, il n’y avait plus d’issue ! Je suais, des frissons mettaient mes vertèbres en branle. Je devais trouver un refuge. A l’intérieur, dans la souricière, il n’y avait que ça.

A peine avais-je passé la porte d’entrée que je fus pris d’une terrible nausée. Ma tête fit deux tours. L’atmosphère était étouffante, on étouffait, j’étouffais ! Au fond, sur le dancefloor, une partie de la bohème lilloise, peu soucieuse du dispositif sécuritaire qui l’attendait à la sortie, chantait à tue-tête les paroles d’une chanson de Whitney Houston, ou Céline Dion, ou peut-être encore Lara Fabian. Bref, c’en était fait de moi : je me précipitai dans les toilettes, bousculant tout sur mon passage, et prodiguai une magnifique gerboulade !

Malade à en crever, certes, mais toujours en liberté, je pris le pas du retour à la maison. Les policiers n’étaient plus là, mais un homme m’interpella : « Les filles sont plus les mêmes qu’avant, tu trouves pas ? » Je le regardai, ahuri, lui demandant avec une voix chétive ce qu’il me voulait. Il répliqua : « Je te dis que les filles, c’est plus comme avant, maintenant elles ne donnent plus leur numéro, mais leur facebook ! »

Le salaud venait de m’achever, je tournai le dos et finis de me vidanger dans le caniveau.

Hard times… •