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Les factieux c'est elleux !

Franck Riester, Agnès Pannier-Runacher, Élisabeth Borne, Amélie Oudéa-Castéra... Ils et elles sont 19 (sur 44 membres du gouvernement actuel) à être millionnaires. Dans le même temps, on peut compter 10,1 millions de personnes pauvres en France en 2019, dont plus de la moitié sont des femmes. L'intensité de la pauvreté est elle estimée à 19,7% (soit 13 millions de personnes), dans un pays où les 0,1% les plus riches de la population payent proportionnellement moins d’impôt que 70% de la population active française.


La démocratie représentative sous sa forme Ve République est-elle devenue le gouvernement des pauvres par les riches et pour les riches ?

Quand le président de la République, dans sa dernière adresse télévisée, avance comme solution – à quoi ? on ne sait pas, mais ni aux retraites et encore moins aux inégalités ‒ de remettre les pauvres au travail ‒ sans qu’un « journaliste » ne le reprenne sur l'infamie de la réduction de leurs allocations en décembre dernier –, il se sent pousser des ailes et peut affirmer que la République ne peut accepter « ni les factieux ni les factions » : nous voilà revenus en plein XIXe siècle, quand le Parti de l'Ordre tentait de juguler (ou d'étrangler c'est selon) les fièvres égalitaristes, libérales ou libertaires.

Comme les mots ont encore un sens, attardons-nous deux minutes là-dessus. Le sens commun désigne le factieux comme celui « qui exerce contre le pouvoir établi une opposition violente tendant à provoquer des troubles ». Si on creuse un peu dans l'étymologie latine, factiosus signifie « être enclin à diviser ». Il peut se rapprocher de « parti politique » ou d’« oligarchie ». Quant à factio, le terme évoque « l’association de personnes unies dans les mêmes intérêts, idéaux, classe sociale ». À Rome, il pouvait désigner les équipes concurrentes ou leurs « supporters » dans les courses du cirque. Le mot, enfin, revient en force au XIXe siècle et commence à se forger : « Entre le parti et la faction, il y a toute la différence qui existe entre intérêts généraux et intérêts particuliers », nous dit Balzac.

Dès lors, comment définir ceux et celles qui gouvernent contre l’intérêt commun ‒ le peuple diraient certain.es ‒ et pour l'intérêt particulier d'une catégorie infime, mais puissamment aisée, de la population ? Suppression de l’ISF, baisse des APL, 49.3…  La chose publique qu'est la res publica – entendue ici au sens de 1792 et donc d’une certaine idée du bien commun – peut-elle accepter l'appropriation de l'intérêt général par des intérêts particuliers ? La rue conteste fortement et massivement ces dérives. Pointer du doigt les manifestant.es pour mieux cacher la propre violence d’un État policier n’est qu’une triste – à nos corps défendants – diversion. La bataille continue dans les mots : face à un gouvernement et un président mal élu (deux fois), à la légitimité plus que douteuse, n'ayant pour définition du dialogue social que la surdité et la répression violente et disproportionnée, retournons leurs mots : « Les factieux sont ceux qui, n'ayant d'autre droit que la force, refusent de la reconnaître chez les autres » (Proudhon). •