- Catégorie : Billets
- Écrit par Jack de L'Error
La France brûle à cause d’un film
« C’était une mauvaise idée ! Une connerie qui va nous coûter cher ! » Voilà ce qu’un membre du cabinet du ministre de l’Intérieur nous a répondu au sujet du film Juste Police dont la diffusion, il y a deux jours en simultané dans plusieurs salles de quartiers qualifiés de « sensibles », a déclenché une trentaine d’émeutes sur le territoire. « Le film n’était pas mauvais en soi », a conclu notre source, « mais il n’était vraiment pas audible pour les délinquants qui peuplent ces zones urbaines. »
• Projet ambitieux lancé à l’initiative du Premier ministre, le film Juste Police avait pour but de donner une autre image de la police dans les quartiers où cette dernière ne peut, à quelques exceptions près, plus pénétrer. Réalisé par Olivier Maréchal (36 quai de l’Orfèvrerie, MR38), Juste Police met en scène trois patrouilles de nuit de la Brigade anti-criminalité (BAC) travaillant dans une ville de la banlieue nord de Paris. L’histoire commence après l’assassinat d’un policier et se poursuit jusqu’à l’arrestation des principaux suspects. Entre tension et déviances, exactions et investigations, le sens de ce film, selon le réalisateur, « se veut de dépasser les simples rapports de violence — qu’on ne peut évidemment nier — pour en dégager ce qu’il reste d’humanité chez ces policiers ». Juste Police se termine naturellement par la victoire de la morale. Et de l’ordre.
« On aura leur peau, à ces salauds ! Ce film est le plus stupide et le plus ingrat qu’il m’ait été donné de voir ! Ils n’ont vraiment aucune limite ! » Samuele S. Bertoni, chroniqueur ciné pour le site d’informations Lille43000.com, n’en croit toujours pas ses yeux. Pour ce spécialiste du cinéma subversif, le film Juste Police ne pouvait être « qu’une mauvaise blague… Hélas, ils étaient tout ce qu’il y a de plus sérieux ! » Depuis hier plusieurs voix s’insurgent à l’instar de M. Bertoni, allant jusqu’à accuser le gouvernement d’avoir conçu un projet pour provoquer ou mettre le feu là où il ne manquait plus qu’une étincelle. Et ainsi justifier une vaste opération de resserrement du contrôle social prévue depuis longue date.
Interrogé sur ces accusations, le porte-parole du gouvernement a déclaré ce matin que « les affabulations de quelques agents du chaos en manque d’aventure ne durent qu’un temps. Ce qu’il restera des évènements de ces derniers jours, c’est qu’une bande de voyous surexcités s’en est pris aux fonctionnaires de la police, ce qui n’est pas seulement un crime mais un attentat contre la République et la Démocratie, et ceci au sein même de la nation. » Pourtant plusieurs témoignages provenant des quartiers qui ont connu des émeutes vont à l’encontre de ce discours officiel. Tous reviennent sur les brutalités policières et, plus troublant, sur ce qui semble être un « coup monté ». En effet, dans plusieurs villes les salles de cinéma diffusant Juste Police étaient encerclées de CRS et de gardes mobiles, avant même la fin de la séance. Dans d’autres, plusieurs agents de la DCRI ont tenté plus ou moins discrètement de se faire passer pour des habitants du quartier et auraient, à la fin du film, jeté des cocktails Molotov dans les salles de cinéma.
Aujourd’hui aucun bilan n’est encore envisageable. D’autant plus que les émeutes, loin de disparaître, sont chaque jour plus nombreuses. Selon le ministère de l’Intérieur, tandis que la police a procédé à 750 arrestations, 88 policiers auraient été blessés et 5 seraient portés disparus. De son côté l’association roubaisienne « Justice pour tous », qui milite depuis quinze ans contre les violences policières, a publié un communiqué provisoire déplorant « la mort de quatre personnes sous les coups de la police » et « l’hospitalisation de plusieurs centaines d’autres ». « Finalement », concluait justement M. Bertoni, « ce con de film est peut-être bien le plus subversif qu’on puisse faire. M’est avis que ces connards pourraient bien se prendre une bonne révolution dans la gueule ». Ce que nous suivrons de près. Très près. •
Ce texte a initialement paru dans Le père Projo, plaquette de présentation du Festival de Cinéma Le Cri de l'œil, Festival de Cinéma, du 29 août au 2 septembre 2012 à Pruines, Marcillac, Decazeville (12 – Aveyron).