- Catégorie : Billets
- Écrit par Simon de Bavoir
Mort de Lech Kaczynski : et si on allait chier sur sa tombe ?
Tous morts. Sarkozy et sa femme, une partie de l'État major français, quelques ministres, le gouverneur de la Banque centrale... Point d'appel au meurtre ici, mais avouons qu'on pourrait être nombreux à avoir le sourire aux lèvres, comme ce fut le cas lorsque Guillon-le-comique en a rêvé pour France Inter. L'important ici, c'est de se mettre à la place des camarades polonais, pour qui le rêve est devenu réalité. Bien entendu, la presse locale n'est pas de cet avis...
• On peut penser que pour celles et ceux qui luttent en Pologne depuis des années contre les affreux Kaczyński[1], la réaction au crash du 10 avril a dû se résumer en deux mots : « Na zdrowie, ordure ! »
Pourtant nos grands médias, inspirés par Lech Walesa, se sont empressés de mettre en spectacle cette « tragédie inimaginable ». Ainsi par chez nous, dans le 19/20 de France 3 Nord-Pas De Calais du 18 avril, la rédaction surfe sur cette vague sensationnelle et nous propose en premier titre du journal un sujet de… « malade mental » : une vingtaine de personnes – rendez-vous compte ! – se sont réunies à Hénin-Beaumont pour suivre la retransmission des obsèques de Lech Kaczyński ! Le reportage tient sur une minute et 56 secondes, pathétique et ridicule. Ou les deux à la fois[2].
Nicolas Sarkozy, qui nous semble à peine moins détestable que les frères Kaczyński, a exprimé sa « très grande émotion » et sa « profonde tristesse » envers quelqu'un qui « s’est toujours battu avec conviction pour les valeurs qui ont fondé son entrée en politique : la démocratie, la liberté et la lutte contre le totalitarisme ». Il avait eu la même fibre droit-de-l'hommiste pour défendre les discours homophobes du député UMP de Tourcoing, Christian Vanneste.
Du côté des journalistes, rares sont ceux qui ont osé qualifier Kaczyński de « réac ». Des recherches succinctes[3] permettent pourtant de dresser le portrait d’un personnage plutôt imbuvable : ultra-nationaliste, conservateur, catholique intégriste, homophobe, russophobe ou raciste... Si l'on ajoute qu'il a fait alliance avec les partis fascistes polonais et qu'il était défenseur de la peine de mort, la sentence tombe : Kaczyński est mort ? Bien fait !
Ce n'est en aucun cas l'avis des torchons de référence de la région. Sous le coup de l'orgasme médiatique, ce 10 avril à 16h20, la page web de La Voix s'enflamme : « La Pologne est sous le choc. C'est un séisme émotionnel pour tous les Polonais, qui ont été nombreux à se rassembler spontanément devant le siège de la présidence à Varsovie ». On apprend que la mairie de Villeneuve-d'Ascq, courageusement, décide « d'organiser un week-end de soutien au peuple polonais et d'hommage à son président Lech Kaczyński » ; « un week-end de recueillement avec le peuple polonais », pour le directeur de l'office de tourisme. Tous les articles se ressemblent, de Nord Éclair, à La Voix en passant par France 3 : le peuple polonais dans son INTÉGRALITÉ est en larmes et crie sa douleur après la perte de son président vénéré.
Le 13 avril, pour La Voix, « dans les journaux et dans la rue, toute la Pologne fait front ». Pire, c'est toute la région Nord-Pas de Calais qui s'allierait à la douleur des Polonais. Ainsi France 3 titre le 11 avril : « Pologne : le Nord-Pas de Calais solidaire ». La Voix annonce le 16 que « les Franco-Polonais pleurent les victimes de Smolensk », annonçant au passage une messe à 11 heures à Marles-les-Mines... Nord Éclair ne mâche pas ses mots pour relayer la retransmission des funérailles du couple Kaczyński à Hénin-Beaumont, le 19 avril : « À l'écran, près de Jaroslaw Kaczyński, le frère jumeau du président défunt, Martha, sa fille, est d'une dignité exemplaire. Comme les Polonais, qu'ils soient à Cracovie ou à Hénin-Beaumont ». Au passage, Nord Éclair recueille les témoignages de trois nordistes d'origine polonaise, favorables à ce que Kaczyński soit enterré au panthéon polonais. On s'étrangle… Fidèle au copié-collé sur dépêches AFP, La Voix s'emballe ce 19 avril : « Dans un élan unique de cohésion nationale, les Polonais ont convergé hier vers Cracovie », commentant « un moment de recueillement rare ».
On ne sera pas ici de mauvaise foi. Il nous faut signaler la présence de quelques mots venant troubler ce concert d'hommages pieux et humanistes. Eh oui, car enterrer ce douteux personnage au panthéon polonais, il y a de quoi halluciner... Sans aller bien sûr jusque-là, en pleine « polémique » sur ce sujet, La Voix s'incline du bout des lèvres le 15 avril : comme sa direction, comme son rédacteur en chef, comme Sarkozy, Kaczyński était « conservateur ». Il leur aura fallu cinq jours... Le 19 avril, la rédaction ira un poil plus loin, évoquant « des positions conservatrices voire réactionnaires » et « des accointances avec radio Maryja, média catholique influent ».
Mais alors, toute la Pologne est-elle réellement derrière son gentil président ? La Voix ose la question : « Pourquoi sont-ils là ? » Un journaliste nous commente alors les vidéos de TF1 et les photos des obsèques que l'AFP lui a envoyées : « Il y a la Pologne catholique et fervente, dont Cracovie est l'habituel épicentre : religieuses coiffées, séminaristes, prêtres et scouts en tout genre en tête. Il y a la Pologne nationaliste des solides jeunes hommes aux cheveux ras ». Bien entendu, il n'ira pas en conclure qu'il pouvait s'agir là de catholiques extrémistes et de jeunes fascistes… •
[1] Une brève recherche sur la toile pour un tour d'horizon de la gauche polonaise, des anarchistes à la « nouvelle gauche » :
- Ici, un bref compte-rendu du 1er mai 2007 en Pologne : « Beaucoup plus radicales étaient les bannières du parti de la Nouvelle Gauche (parti anticapitaliste) : « Capitalisme – cannibalisme », « Hors de l’UE ! », « Prendre aux riches, rendre aux pauvres ». (…) La marche de l’Union des syndicalistes polonais, de la Fédération anarchiste (FA) et de l’association « Liberté, Egalité, Solidarité », sous les slogans « Le capitalisme tue – Tuons le capitalisme », « La révolution est proche ». »
- Ici, un militant de « Food not Bombs » arrêté par la police. Et là, les coordonnées des quatre collectifs « Food not Bombs ».
- Ici, le site Indymedia Pologne.
- Ici, des militants antifascistes polonais arrêtés lors d'une manifestation.
- Ici, répression syndicale contre le syndicat anarcho-syndicaliste « Initiative des travailleurs ».
- Ici, interview des animateurs du syndicat « Initiative des travailleurs » et du « Syndicat libre Août’80 ».
- Ici, interview du président du Parti Polonais du Travail (PPP).
- Ici, le centre d'information anarchiste de Pologne.
- Ici, campagne de boycott des élections polonaises et une affiche satirique sur les jumeaux Kaczynski.
- Ici, interview d'un militant de la Fédération Anarchiste polonaise.
[2] A l'opposé, le quatrième titre du journal porte sur la manifestation d’une quarantaine de syndicalistes devant le complexe commercial Mac Arthur Glen à Roubaix, pour protester contre le travail du dimanche. Ils ont droit à 46 secondes. Pas une de plus.
[3]
- Un « personnage rétrograde, réactionnaire, intégriste catholique et homophobe militant. Alors qu’il était maire de Varsovie, il a fait réprimer à plusieurs reprises des manifestations homosexuelles. Il s’était déclaré en faveur de la peine de mort et s’opposait à la légalisation de l’avortement. Cet ancien conseiller de Lech Walesa au syndicat Solidarité prônait une politique ultra libérale et clairement pro-américaine. Il s’était aligné sur George Bush notamment dans sa guerre en Irak. Enfin, cet anticommuniste militant avait institué la loi dite de « lustration » visant tous ceux ayant collaboré de près ou de loin aux gouvernements dits « communistes ». Il avait voulu, notamment, abolir les retraites des anciens brigadistes en Espagne républicaine. » (Le Grand Soir)
- « Alors qu’il était maire de Varsovie, il avait en effet interdit les parades de la Gay pride de 2004 et 2005, au motif qu’elles « propageaient l’orientation gay». Et refusé d’accorder un rendez-vous à leurs organisateurs, en expliquant crûment : « je n’ai pas envie de rencontrer des pervers ! » Il avait par contre autorisé la contre-manifestation, « Parade de la Normalité », organisée par les partis d’extrême droite. » (Plume de Presse)
- « En 2007, avec son frère jumeau Jaroslaw, alors Premier ministre, il avait souhaité instaurer une loi interdisant «la propagande homosexuelle dans les écoles». » (Les Toiles Roses)
- « Conservateur et nationaliste, Lech Kaczynski affichait ses principes moraux. Il n’aimait pas les homosexuels et condamnait l’avortement. Il n’eut cependant aucun scrupule à s’acoquiner avec une radio intégriste (Radio Maryja) ouvertement xénophobe et antisémite (...) ou à s’allier à des partis extrémistes peu recommandables. » (Le Figaro)
- « Lui et son frère, Jaroslaw Kaczynski, ont fait interdire des partis politiques en Pologne, dont le parti communiste, et ont permis la libre-circulation de “littérature” antisémite sur le territoire polonais, tout en rendant illégale la simple possession d’un objet portant un symbole communiste » (Vision Socialiste).
- « En Pologne, de 2005 à 2007, les frères Kaczynski et leurs alliés doivent en grande partie leurs succès électoraux à la défense de l’Église catholique, de la famille et de la patrie comme territoire, incarnée par la Ligue des Familles polonaises et le Parti des Paysans polonais, soutenus par l’aile conservatrice de l’Église catholique polonaise. La défense de la famille est alors passée par l’homophobie. Marcinkiewicz, Premier ministre, déclarait dans l’édition polonaise du magazine Newsweek : « La propagation de l’homosexualité entrave la liberté des autres citoyens […]. Si une personne tente de contaminer les autres avec son homosexualité, l’État doit intervenir contre une telle entrave à la liberté […]. L’homosexualité n’est pas naturelle. Ce qui est naturel, c’est la famille, et l’État se doit de protéger la famille. » Les Gay pride ont été interdites et contre elles des « parades de la normalité » ont été organisées. « L’affirmation de l’homosexualité mènera à la chute de la civilisation. Nous ne pouvons pas être en accord avec cela » avait déclaré le jumeau président du parti. Il avait encore affirmé que « les homosexuels ne devraient pas avoir le droit d’enseigner ». » (Vacarme)
- En 2006, les Kaczyński font alliance avec deux partis fascistes, qui leur permettent d'avoir une majorité de députés pour gouverner : la LPR (Ligue des familles polonaises, extrême droite polonaise, antisémite, xénophobe et catholique intégriste) et Samoobrona (« Autodéfense », lié à la petite paysannerie, discours social-populiste, nationaliste et xénophobe). Andrzej Lepper, leader de Samoobrona, «parle de lui à la troisième personne en déclarant : « Il n’a jamais fait l’éloge du nazisme. » Mais c’est pour ajouter : « J’ai soigneusement étudié Goebbels. Et je n’ai pas peur de dire que c’était un grand homme. C’est lui qui a lancé Hitler… » Et il cite Mein Kampf au titre de ses livres de chevet. » (L'Humanité) D’ailleurs, lors de défilés contre les homosexuels, les jeunes du parti Samoobrona ont l’habitude de scander : « Gazons les pédés ou nous vous ferons ce qu'Hitler a fait aux juifs ». (Médialibre, quotidien de l'école de journalisme EMI, 20/07/06).