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« C’est un monde ! Ils ont brûlé Le Monde ! »

Dans Le Monde du 31/10/08, le boss s’est divinement investi d’une sainte mission : en une, dans un billet titré « Arbitraire », E. F. – tel qu’il le signe – mitraille le mouvement de contestation des NMPP. Et s’émotionne du mal que l’on peut vouloir à son journal, si « indispensable ».


• « […] Il est temps d’opposer un « non » ferme à cette pratique arbitraire, indigne d’une démocratie pluraliste, dont la presse écrite est l’un des piliers. » En quelques mots, E. F. se fait résistant, protecteur et garant du système dont il bénéficie. Cette « pratique arbitraire », cet « acte grave », cette « action sauvage menée au mépris de tout respect des règles établies », ce « pareil coup de force », ces « actions brutales » ne sont en réalité que mouvement social, lutte, contestation légitimes et traditionnels en France…

Les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), dont la mission remontant à 1947 est de distribuer la presse de manière égalitaire, ont connu plusieurs mouvements de grève depuis le mois de mai dernier. Seulement, le mercredi 29 octobre au soir, Le Monde du 30/10 n’a pas été pris en charge par les messageries. Le même sort est réservé aux quotidiens le lendemain. E. F. n’en pouvait donc plus, le seuil de tolérance fut atteint.

En pleurant sur sa perte considérable, presque sortie d’un conte de fée (« nos entreprises y ont perdu de surcroît plusieurs millions d’euros »), le protecteur du débat démocratique s’indigne des sévices que l’on a fait subir à ses petits journaux : « certains grévistes [sont allés] même jusqu’à les brûler ! » C’est un monde ! Et une drôle de surprise… Mais pourquoi, bon dieu, pourquoi des gens s’en prennent comme des sauvages aux « quotidiens, et en particulier Le Monde, [qui] servent d’outil de compréhension indispensable pour éclairer la crise économique et financière que nous vivons ou l’enjeu de la prochaine élection présidentielle américaine » ? C’est vrai qu’il est nécessaire ce journal (Hé ! Hé ! ndlr). Et très pédago.

Prenons par exemple cette « Carte blanche » en quatrième de couverture, écrite par Nicolas Baverez (« érudit mousquetaire », voir sur Acrimed) le 15/10/08, en pleine « crise » donc : « Le libéralisme, remède à la crise ». C’est dit, c’est fait. Par un raisonnement rapiécé et insondable où il reproche entre autres à l’État français d’être trop « administré », le « spécialo-experto-économisto-historien » en arrive à la conclusion simple mais, cette fois, claire : « Le libéralisme n’est donc pas la cause mais la solution à la crise du capitalisme mondialisé. » Souvenez-vous en, c’est un expert qui vous parle !

La « fraction des ouvriers du livre CGT » est en lutte contre le plan de modernisation des NMPP (plan « Défi 2010 ») et, de manière générale, contre la précarisation croissante se développant au sein des NMPP : « Entre 1980 et 2008, les effectifs NMPP sont passés de 5000 à 1200. Le coût de l’intervention NMPP est passé de 14 à 6 % de la valeur moyenne d’un journal. » (Voir sur Lutte Ouvrière HebdoLe Monde du 31/10 compte 3000 salariés à l'ensemble du groupe NMPP détenu à 49 % par Lagardère, principal opérateur de l'entreprise NMPP ; Challenges confirme le premier chiffre, ne concernant que l'entreprise NMPP, 1200.)

Modernisation donc. Classique. Cette fois, ce sera 350 emplois supprimés. Ainsi, parler de « fraction » pour qualifier le mouvement, ou relativiser exagérément 350 licenciements « sur les 3000 salariés que compte le groupe » plutôt que sur les 1103 de la seule entreprise NMPP, c’est une manière pour Le Monde d’être à la pointe de la modernité…

Pour E. F., il n’y pas de quoi s’inquiéter. Et de toutes manières, même si Le Monde est un « outil de compréhension indispensable », patiemment pédagogique, la grève des NMPP, on s’en tape : « Nous n’entrerons pas ici dans la complexité d’un dossier qui concerne la modernisation des messageries ». Merci ! Le journal nous déleste de trop de complexité. Nos petites têtes bien pensantes sont ménagées : la démocratie est entre de bonnes mains. •